Critique pour « Trafic » et « La Lettre du cinéaste », cinéaste, scénariste, comédien de films d’auteurs français super perchés, également dj mixant les Beach Boys ou la musique garage des années 80 lors de festivals cinéphiles comme Genève ou Belfort, Serge Bozon a de quoi dérouter, amuser, mais aussi fasciner. S’il met sur un piédestal les metteurs en scène comme Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet, Paul Vecchiali ou encore Marie-Claude Treilhou, son cinéma, qui ne craint pas le ridicule, qui réhabilite la chanson, le non-jeu et l’excentricité délibérée, n’appartient au final qu’à lui ; un cinéma de mise en scène plutôt que de scénario tel que le faisait un autre de ses maîtres, américain lui, à savoir Howard Hawks. En lisant le script de « Tip Top » (2013), l’acteur belge François Damiens déclara même n’y avoir « rien compris ».
L’extrait ci-dessus, tiré du moyen-métrage « Mods » (2003), se révèle dingue et dit par exemple toute la singularité de ce cinéma : plan frontal, personnages qui parlent ensemble sans se regarder, banalités proférées d’une voix invariablement monocorde. Il est stupéfiant mais aussi réjouissant que quelqu’un, dans le contexte du cinéma « d’auteur » français si timoré et si prévisible, ose des audaces telles, ose aller tellement à contre-courant du naturalisme dont les films primés aux César font habituellement leurs choux gras.
Sinon, il s’avère absolument succulent dans « Je sens le beat qui monte en moi » de Yann Le Quellec (2012), petit bijou musical dans lequel deux personnages – une guide touristique et un chauffeur vivent selon deux univers musicaux aux antipodes, et donc dans deux mondes diamétralement différents, elle la musique classique, lui le rock. Yann Kernabon a fait une très bonne analyse de l’ouverture assez cocasse du film, que nous vous invitons à découvrir ici.
En 2016, on peut le voir dans l’excitant « Belle Dormant », une réadaptation du célèbre conte par Ado Arrietta dans lequel il joue aux côtés de Niels Schneider, Agathe Bonitzer et Mathieu Amalric, mais aussi, donc, « Madame Hyde », tiré du roman de Stevenson et dont il a signé le scénario avec sa co-scénariste habituelle, Axelle Ropert.
C’est surtout une figure qui, et c’est d’ailleurs pour cela que lui et tout le groupe de cinéastes de « La Lettre du Cinéma » défendent tellement Rohmer *, représente une immense liberté : liberté de création, liberté d’exercer plusieurs métiers à la fois, avec un mélange assez séduisant de désinvolture et de sérieux. On peut trouver ses films bizarres, voire ineptes, mais pour cela, pour cette liberté farouchement défendue, rien que pour cela : vive Serge Bozon !
* dont le « groupe » reprend des principes (tournage en pellicule, dans des vrais lieux non recréées à Paris, longues « tartines » de dialogues écrits dans un style très littéraire…).
Matthias Turcaud