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Masterclass de Rupert Sanders pour Ghost in the Shell

Rupert Sanders sur un tournage

Le film Ghost In The Shell réalisé par Rupert Sanders est l’adaptation « hollywoodienne » du film d’animation culte japonais du même nom. A l’occasion de la sortie du film, le réalisateur était à Paris pour parler de ce travail d’adaptation et de ses envies en tant que réalisateur. Vous pouvez également découvrir notre analyse du film sur le blog Oblikon.net.

Quelle a été la question la plus surprenante que l’on vous ai posé sur Ghost in the Shell ?

J’espérais que vous me poseriez la question la plus étonnante ! Alors je vous retourne la question.

Est-ce que vous vous souvenez de la toute première fois où vous avez vu le dessin animé ? Est-ce que quand on vous l’a proposé, avez-vous hésité à faire ce film au regard du statut de chef d’oeuvre de l’oeuvre originale ?

Je l’ai vu alors que j’étais encore à l’Ecole d’Art, il s’agissait d’une vieille VHS poussiéreuse car s’était quelques années après sa sortie. J’avoue que j’ai été complètement bluffé, je ne savais pas que cela existait des films d’animation pour adultes.

Puis j’ai rencontré Steven Spielberg qui avait les droits du film. Je lui ai pitché mon concept pour le film et après notre entrevue, il m’a dit que j’étais le réalisateur idéal pour ce film. A partir de ce moment là j’ai commencé à être nerveux !

Vous pourriez résumer ce que vous avez dit à Spielberg ?

Je lui ai dit que je voulais être fidèle à l’Anime, je voulais faire partie de l’héritage de l’oeuvre. Que ce qu’ils avaient en tête était trop éloigné de ce que je pensais de Ghost in the Shell, par rapport à la spiritualité, la philosophie qu’ils avaient perdu et que je voulais rendre au projet de film. C’est dur, parce que que nous faisons un gros film, et que pour un gros film nous avons besoin de beaucoup d’argent. Et beaucoup d’argent implique d’avoir des idées parfois débiles… Et nous avons essayé d’être intelligents ! Et c’est un exercice difficile !

Qu’est-ce qui a été le plus excitant pour relever ce défi ? Et le plus difficile à accomplir ?

C’est un film complexe car bien plus que de diriger un film et des acteurs, car chaque scène est composée d’une multitude de couches, de petites idées, de grandes idées… Et maintenir une cohérence sur l’ensemble du film est une tâche difficile. Tu ne peux pas te rendre dans un lieu et te dire « super, on va tourner ici ! ». Tu dois construire chaque scène, chaque voiture, chaque flingue, chaque veste. Tu dois être très précis dans le design et dans le concept du film. Puis tu dois apporter la métaphore, les thématiques au travers de l’image. Inconsciemment, beaucoup d’idées pour le film sont dans l’imagerie, purement visuelles et pas seulement dans le dialogue.

Blanche Neige et le Chasseur et Ghost in the Shell sont vos deux premiers long métrages. Avez-vous été surpris qu’on vous propose ces deux projets importants, ambitieux, à gros budgets et avec de nombreux effets spéciaux ?

Vous savez, j’ai tourné des clips publicitaires pendant 15 ans avant Blanche Neige. Ce n’est pas comme si Spielberg m’avait croisé dans un Starbucks à Hollywood et me tapote sur l’épaule pour me dire « hey, tu devrais faire Ghost in the Shell !« . Beaucoup de ces choses sortent des meeting aussi ! Il aimait vraiment l’idée du film, il avait vu mon travail du le jeu-vidéo Halo, nous étions déjà en discussions. La première chose que j’ai fait pour notre première rencontre a été de préparer un roman graphique d’une centaine de pages. Dedans, plusieurs projets dont Ghost in the Shell avec les idées fortes du film que j’avais envie de présenter.

Blanche Neige et le Chasseur ainsi que Ghost in the Shell étaient-ils des genres de films que vous rêviez de faire ?

En réalité, non ! J’ai toujours eu envie de faire des petits films. Le premier film que j’ai écrit parlait de vagabonds vivant sur le long des chemins de fers américains que j’ai vendu à Jeremy Thomas qui avait aussi produit High Rise, Sexy Beast. C’est plutôt la direction que je pensais prendre. Mais parfois, tu empruntes le chemin qui se créé devant toi, tu saisis l’opportunité. J’aime aussi faire des films pour lesquels un univers est à construire, mettre les mains dans le cambouis, pour créer une expérience immersive. Je suis arrivé sur ce genre de film par défaut ! Mais parce que l’on me la proposé aussi.

Est-ce que vous vous souvenez le moment où vous avez compris, réalisé, que faire des films cela allait devenir votre vie, votre métier ?

J’ai fait Saint Martin’s School of Art à Londres et je n’ai pas du tout étudié le cinéma, je ne savais pas ce que j’allais faire. J’étais en fait aux Etats-Unis lorsque j’ai rencontré le réalisateur Tony Kaye de American History X. C’est un fou, mais très créatif ! J’ai travaillé comme petite main avec lui sur un tournage de film, et j’ai parfois stupidement lancé un « oh, Tony, tu devrais déplacer la caméra par là« . Il me regardait en mode « ok…« . Nous avons développé une étrange relation de travail et après cela, il m’a dit que je devrais devenir réalisateur. C’est le réel début de mon voyage dans l’univers du film.

Quels films ont nourris votre désir de devenir metteur en scène après que l’on vous l’ai suggéré ?

J’ai grandi en regardant des films très variés : Elephant de David Lynch, des films avec Nick Roux, beaucoup de Kubrick. Je suis très attiré par les films visuels. Je ne peux pas nommer un film en particulier, il y en a tellement qui m’ont marqué. C’est la beauté de l’art du cinéma, tu n’arrêtes pas de trouver des trucs, la bibliothèque est tellement riche. Juliette Binoche, Takeshi Kitano, je les admire depuis longtemps, j’ai grandi en voyant leurs films. C’est extraordinaire d’avoir pu tourné avec lui.

Ghost in the Shell est très ambitieux et nécessite l’intervention de nombreux métiers du cinéma. Comment fait-on en tant que réalisateur pour être sûr que c’est bien son film à soi ?

Je travaille avec certains depuis longtemps. Mon directeur de la photographie, Jess Hall, a fait Saint Martin’s School of Art avec moi. Cela fait 20 ans que je travaille avec mon monteur. J’ai aussi rencontré récemment Jan Roelfs, mon chef décorateur sur des publicités. C’est un gros film, oui, mais ce qui est étrange c’est que l’on passe beaucoup de temps autour de la table de la cuisine à travailler. Nous étions dans une vieille usine de peinture, pas vraiment glamour. La moitié des gens qui travaillent sur le film ne sont même pas au générique car font principalement de la rotoscopie (NDRL : technique cinématographique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vue réelle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation).

Ce n’est finalement pas si différent d’un film indépendant. Je pense qu’il s’agit surtout de créer une équipe créative autour de soi. De faciliter le dialogue en allant à l’essentiel, en se faisant confiance. Un bon ami à moi, un superviseur d’effets spéciaux français avec qui j’ai travaillé durant de longues années, a très bien décrit le rôle du réalisateur. Tu tiens une énorme sphère dans ta main, mais tu ne vois que la face qui est devant toi. Alors tu as besoin de gens tout autour de la sphère pour t’aider à la porter et voir plus loin que les limites de la face qu’il contemple.

Blanche Neige et le Chasseur et Ghost in the Shell sont deux films de commande. Comment vous les appropriez-vous ? Les rendez plus personnel ?

Je pense que la vision personnelle est dans toutes les facettes du film. Tu prends des décisions très instinctives, tu n’écris pas « voici ma vision pour le film !« . Pour Ghost in the Shell, je voulais vraiment qu’il fasse authentique, réel. Alors nous avons construit 90% des effets spéciaux à l’aide d’animatronics, de maquettes, de miniatures, de squelettes… Pour la séquence d’ouverture, nous avons conçu l’intégralité du squelette robotique que nous avons vraiment fait sortir d’un liquide blanc. Je me suis senti impliqué dans le film parce que je n’ai pas été aveuglé par les effets spéciaux. Ils sont plus additionnels que de simples effets spéciaux. Les personnages sont plus forts car ils habitent un monde réel.

Faut-il voir un symbole dans le liquide blanc présent dans Blanche Neige et le Chasseur et Ghost in the Shell ? Et dans la place de la femme ?

C’est sûr, j’adore réellement noyer mes personnages dans un liquide blanc ! Je suis très fier que Ghost in the Shell soit un film piloté par une action très masculine mais dont le personnage principal est une femme forte et intelligente ! Je pense que Scarlett délivre une excellente performance. L’avantage d’une femme dans le rôle titre est que l’on a à la fois l’action, la violence mais aussi l’empathie et l’effet produit est plus fort que s’il s’agissait d’un homme. Donc oui, je suis définitivement attiré par les héroïnes fortes et noyer les personnages !

De tous les thèmes présents dans Ghost in the Shell, quel est le plus personnel et qui vous touche le plus ?

Je suis vraiment très intéressé dans la manière dans le paysage, le monde qui nous entoure a fait de nous des humains. Dans le futur, nous avons l’opportunité de nous faire évoluer ! La technologie évolue sans réelle contrainte, réglementation ou limite, notamment en matière d’intelligence artificielle. Je discutais avec quelqu’un des véhicules autonomes, ces voitures qui se conduisent toutes seules. Imaginez si le logiciel de la voiture décidait de sacrifier son propre conducteur lors d’un crash pour sauver une autre voiture avec cinq personnes dedans. Ou un accident avec une personne âgée et une plus jeune, la plus jeune survivrait. Alors j’imagine aussi que si tu es dans une Porsche contre une vieille Coccinelle Volkswagen, tu vas survivre parce que tu es plus riche.

Il y a définitivement beaucoup d’espoir et d’excitation dans ces technologies du futur. Mais il existe aussi le besoin d’être attentifs. Steven Hawking l’a très bien dit lui-même en expliquant que l’intelligence artificielle est probablement la plus extraordinaire découverte de l’Homme mais aussi sa dernière réussite…

Quelle est la scène la plus intelligente du film d’après vous ?

J’ai littéralement terminé le film vendredi dernier, je n’ai donc pas encore été félicité sur mon « intelligence » ! Mais je pense que la chose la plus intelligente que j’ai fait pour Ghost in the Shell a été de m’entourer de gens intelligents qui m’ont aidé à terminer ce film complexe.

Il s’agit pour vous d’un film très personnel, que pensez-vous laisser comme trace ?

Vous savez, ce n’est pas un film normal, pas fait avec des gens d’Hollywood. Mais cela reste un film hollywoodien, l’argent vient d’Hollywood. Merci Hollywood. Nous avons fait un film personnel. Quand je pense à ces nombreux films que je vais voir au cinéma et pour lesquels il ne me reste en souvenir qu’un peu de pop-corn sur le pantalon, j’espère qu’avec Ghost in the Shell, une émotion restera.

Pourquoi Scarlett Johansson était-elle selon vous la parfaite incarnation du Major ?

Je pense que Scarlett est l’incarnation du mouvement Cyber Punk, notamment du fait des films qu’elle a fait, représentatifs d’une génération. Lost in translation, Her, Lucy, Under the Skin sont autant de références typiques. Je pense qu’elle est aussi une actrice très performante dans l’action mais elle est aussi très forte dans l’émotion. Pour Ghost in the Shell, elle était très limitée en mouvements, ne pouvant pas user de ses tics comme peuvent le faire d’autres acteurs. Croquer dans une pomme, fumer, tenir une canne, Scarlett ne pouvait rien faire. tout devait venir de l’intérieur et je pense que c’est quelque chose de très difficile à sortir pour un acteur. Elle parvient à montrer beaucoup de choses sans jouer réellement avec son propre corps.

Juliette Binoche a déclaré avoir d’abord refusé de jouer dans le film. Vous êtes revenus trois fois pour la convaincre. Pourquoi vous teniez tant à elle ?

Oui, elle a beaucoup refusé. Mais je l’ai finalement eu et je crois que c’est tout ce qui compte ! Une fois que vous avez quelqu’un en tête et que vous la voulez pour le personnage, il est très difficile de laisser tomber. Je savais ce que je devais faire pour l’avoir. Elle a apporté énormément au film, à ce personnage qui n’était pas prévu à l’origine. Il était d’ailleurs écrit pour un homme, mais j’ai senti qu’il était plus important que la naissance scientifique du Major devrait être une figure maternelle. Il existe toujours une liste des acteurs à « caster » mais je voulais vraiment beaucoup travailler avec quelqu’un que j’admire beaucoup, et Juliette est unique. Elle n’a pas trop fait ce genre de film de science fiction, c’est pour cela que je l’ai chassé sans relâche !

Le chien – ce fameux basset qui génère des théories folles sur internet – est aussi présent dans votre film. Est-ce un clin d’œil à l’oeuvre d’origine ou a-t-il une signification plus profonde ?

Vous savez, le réalisateur Mamoru Oshii a ce chien ! Nous le voulions durant le tournage à Hong Kong mais il n’avait pas de passeport. Cela aurait été cool d’avoir le vrai chien d’Oshii dans le film. Mais la bureaucratie s’est interposée. Pour répondre à votre questions, les fans de Ghost in the Shell, et notamment d’Innocence y verront clairement une référence. Il est d’ailleurs aussi présent dans les hologrammes sur les toits de la ville.

Il y a longtemps, le quotidien Libération avait posé la même très simple question à de nombreux réalisateurs du monde entier : « Pourquoi filmez-vous ? »

Je suis un plombier très nul ! Pour moi, la beauté de filmer est que cela combine tant de mes passions. En tant que réalisateur, je travaille avec des musiciens, des sculpteurs, des acteurs, des poètes. Je pense que j’étais effrayé de devoir choisir d’une forme d’expression artistique. Alors j’ai choisis celle qui rassemble tout ! Je suis très chanceux, je voyage partout dans le monde, travaille avec des gens talentueux. Je me suis rendu sur des glaciers, dans des égouts, me suis baladé en hélicoptère. C’est une chance incroyable !

La collaboration est ce que j’aime. On se surnomme « le Cirque », on vit juste avec une valise, on bouge de projet en projet. Mon premier assistant réalisateur n’a finalement eu une maison à lui qu’à 41 ans car il ne faisait que voyager. C’est une vie de voyage mais une vie formidable.

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