A24 s’est imposé ces dernières années comme LE studio en vogue en ce moment dans le cinéma international, avec des succès mondialement reconnus comme «Everything everywhere all at once», «The Whale» ou encore «Hereditary» pour ne citer qu’eux. La société de production a su se créer une véritable image de marque et laisser une empreinte indélébile dans le paysage audiovisuel. Retour sur l’histoire de ce studio pas comme les autres, et sur ses stratégies marketing hors du commun.
Les débuts
Nous sommes en 2012, sur une petite route italienne. Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges, trois amis travaillant dans différents aspects de la production de films, ont l’idée de créer une société de production où le réalisateur serait au centre des films. Un studio qui laisserait une totale liberté artistique à ses auteurs. Cette société prendra le nom de la route sur laquelle cette idée a germée : A24 était né.
Le studio se spécialise tout d’abord sur la distribution de films. Déjà, le studio se démarque par une stratégie marketing simple : miser principalement sur internet et le bouche à oreille. A24 attire l’attention sur lui avec le film «spring breakers» de Harmony Korine en 2013, qui est un succès critique et fait partie de la liste des meilleurs films de cette année. Fort de cette première expérience sous les projecteurs, A24 signe deux contrats avec des plateformes de vidéos, DirecTV et Amazon. Ces partenariats permettent au studio de se faire connaître davantage, et d’agrémenter le bouche à oreille pour la sortie cinéma de leurs films.
Le studio frappe ensuite fort en 2014 avec la sortie du film «Ex Machina» d’Alex Garland : en effet, pour promouvoir le film, A24 créé un faux profil Tinder à l’effigie d’Ava, l’intelligence artificielle au centre du film. Et la stratégie marche : elle entraîne un immense coup de projecteur sur le long-métrage. Et on retrouve là les prémices de ce qui caractérisera le studio : faire des campagnes de promotion à son image, peu conventionnelles.
De la distribution à la production
A partir de 2016, A24 décide de se lancer dans la production de films en parallèle de la distribution. Le modèle qu’ils adoptent est simple, mais sacrément efficace : produire des films indépendants à petit budget pour avoir plus facilement un bon retour sur investissement. Cette stratégie était déjà utilisée par le studio dans la distribution : en effet, ils étaient (et sont toujours) très présents dans les festivals pour pouvoir acheter les bons films primés à moindre coût. Dans cette tactique, la communication devient alors un facteur primordial pour la réussite du film. Il est alors décidé un plan d’action qui sera signature du studio : se concentrer sur internet et le bouche à oreille.
Et on peut dire qu’ils commencent fort : leur premier film vraiment produit, «Moonlight» de Barry Jenkins remporte en 2017 l’Oscar du meilleur film, propulsant A24 sur le devant de la scène. Le monde commence alors à s’intéresser au studio, porteur de valeurs simples : la liberté artistique et l’originalité. Il devient clair que la société de production choisit des films indépendants qui défient la norme, qui repoussent les limites de ce qu’on peut raconter, des récits audacieux et innovants qui traitent de sujets complexes et profonds. Ils deviennent des champions de la narration unique, artistique et stimulante. Tant que cette condition est respectée, le studio ne se limite pas dans un genre précis, puisqu’il produit et distribue des films de tous horizons, allant de l’horreur au drame, en passant par la science-fiction et la comédie, mais aussi la fantasy, le western,…
Le studio met un point d’honneur à laisser leurs chances aux jeunes talents inexpérimentés : c’est ainsi que Greta Gerwig ou Jonah Hill ont pu réaliser leurs premiers films, respectivement «Lady Bird» en 2017 et «Mid90s» en 2018. A24 devient donc un véritable tremplin pour de jeunes cinéastes talentueux tels qu’Ari Aster qui y réalise son premier long métrage en 2018, le très célèbre et acclamé «Hérédité». En plus d’être un succès critique retentissant, le film est un triomphe commercial, rapportant 80 millions de dollars de recettes pour un budget de 10 millions. Fidèles à eux même, la communication autour de ce film fut mémorable : la production à notamment envoyé des poupées aux journalistes avant la sortie du film, ce qui a immanquablement fait parler de lui. La volonté assumée d’A24 est de créer des campagnes originales et propres à chaque film, pour que chacune d’entre elles soit marquante à leur façon.
En termes de partenariats, le studio a signé en 2018 un accord avec Apple qui peut disposer du catalogue de la société sur sa plateforme de streaming AppleTV+, et un autre avec HBOMax qui ont accès à certains films d’A24 en exclusivité. Ces deux contrats sont encore d’actualité aujourd’hui, et sont effectifs sur des films différents pour chacune des entreprises.
La marque A24
Fort de ces succès qui ont ancré le studio dans le monde cinématographique, la société commence à se diversifier. En parallèle de la production et de la distribution de films, «The A24 Podcast» est lancé en février 2018. Le concept est simple : une discussion entre deux personnalités du monde du cinéma. L’émission à donc reçu des noms comme Martin Scorsese, Sofia Coppola, Paul Schrader ou encore Bo Burnham, qui viennent discuter de leurs derniers films et des thématiques qui y sont liées. Des discussions similaires sont organisées par le studio lors des projections de ses films dans des festivals tels que Sundance. A24 communique beaucoup sur ces échanges créés par ses films, et invite le public à se questionner sur les thèmes abordés. Car, comme le rappelle si bien le studio, les films sont vecteurs de changement. Ces actions sont un excellent moyen pour eux de diversifier leurs canaux de diffusion, de continuer à faire parler d’eux et d’ouvrir le débat sur les sujets forts au centre de leurs films.
De plus, A24 se lance dans la création de séries télévisées à partir de 2015. Elle est à l’origine notamment des séries «Ramy», «Hazbin Hotel» ou encore l’immense phénomène qu’est «Euphoria». Ces productions participent grandement à la renommée du studio, et cette diversité de contenu et de thèmes abordés permettent à A24 de toucher un public très large.
Le studio est également célèbre pour ses produits dérivés. En effet, il a lancé sa propre boutique en ligne, proposant tout un tas de goodies à l’effigie de l’entreprise, allant des casquettes aux t-shirts, en passant par les tote-bags et même les caleçons. Mais ce merchandising ne s’arrête pas là, puisqu’A24 sort régulièrement des goodies de ses films : des gants main hot-dog et des packs d’yeux globuleux pour «Everything eveywhere all at once», des stickers et des mini temples jaunes pour l’encens pour «Midsommar», des pyjamas pour «Beau is afraid», du maquillage, des pendentifs et des rubans pour adopter le style de Priscilla Presley pour «Priscilla»,… Les exemples sont légions. Il est à noter que le studio s’est inspiré des grandes marques de mode dans son marketing : ces goodies sont en durée limitée et distribués lors de «drop out», ce qui crée un événement autour du film et un esprit de rareté dans les produits qui attire les consommateurs. Pour en faire la publicité, A24 possède un site internet officiel consacré notamment à ces produits et goodies et sur lequel la marque communique ces exclusivités et leurs actualités au moyen d’une newsletter. En outre, un moyen très astucieux pour le studio de faire d’importants bénéfices, tout en promouvant leurs films.
A24 est donc maintenant une marque à part entière, ce qui est appuyé par une identité visuelle minimaliste et reconnaissable maintenue sur tous ses canaux. Police d’écriture, palette graphique, tant d’éléments constituant la direction artistique qui définit l’image de marque de la société. On retrouve cette DA sur les réseaux sociaux du studio, son site internet et jusque dans les affiches de ses films, qui sont régulièrement minimalistes et réalisées en collaborations avec des artistes contemporains, comme Yuko Higuchi, James Jean ou Sam McKinnis. Cette cohérence est essentielle pour que chaque produit de la marque lui soit associé, et entrer définitivement dans le paysage culturel et l’imaginaire collectif.
L’esprit de communauté
Un facteur non négligeable du succès qu’A24 a parfaitement su créé est bien sûr une communauté forte autour de sa marque. Savoir cultiver et fidéliser ses fans est essentiel pour qu’ils aident à créer un engouement autour de ses films et garantir le succès de ses productions.
Le studio s’est toujours fait un point d’honneur à mettre le public au centre de ses campagnes promotionnelles. Nous avons déjà évoqué le profil Tinder d’«Ex Machina», mais nous pouvons aussi citer la plateforme de réalité augmentée qui permettait aux fans de visiter les décors et les symboles cachés du film «Midsommar», ou encore très récemment une borne d’arcade et son jeu ont été créé à l’effigie du film «The Smashing Machine». Placée à New York les 2 et 3 octobre 2025, les spectateurs pouvaient venir jouer au jeu officiel du film. Ce genre d’expérience immersive permet de créer un contact fort avec son audience, et de cultiver son attente : elle va rester constamment informée pour être sûre de ne pas rater ces événements.
La cible principale du studio est les 25-35 ans, c’est pourquoi il est très présent sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, Instagram, X ou encore TikTok. La société attache une très grande importance à ces canaux : environ 95% du budget marketing est consacré aux points de vente en ligne et aux réseaux sociaux. Ils y font plusieurs posts par jour afin de promouvoir leurs films et événements, et de rester constamment dans le quotidien des consommateurs. La société utilise ces réseaux dans ses campagnes promotionnelles, en proposant des contenus interactifs et ciblés : séance de questions/réponses sur Instagram avec le réalisateur et les acteurs de «The Green Knight», partenariats avec des tiktokeurs qui réagissent aux scènes effrayantes du film «Talk to me», coulisses des effets spéciaux pratique d’«Everything everywhere all at once» sur Instagram et TikTok… Ce genre de campagne est adapté en fonction du public grâce à l’étude de données démographiques et comportementales. Un des gros avantages des réseaux sociaux est le fait qu’ils offrent une communication efficace à moindre coût. En effet, la majorité du contenu d’A24 est posté sur leurs propres canaux, et ne leur coûte concrètement rien. Ils n’utilisent que très peu de posts sponsorisés, misant principalement comme toujours sur le bouche à oreille et la renommée qu’ils acquièrent au cours des années.
Enfin, A24 est passé maître en l’art de s’adapter au monde et à ses évolutions. Nouvelles technologies, memes sur internet, nouvelles tendances, l’évolution du marché… Le studio sait tirer parti de son environnement pour offrir des campagnes marketings mémorables et d’actualité. Par exemple, le film «We live in time» à fait sujet d’un buzz sur Internet à sa sortie : en effet, lors d’une scène sur un manège, un cheval mécanique au physique particulier est visible à côté du couple de protagonistes. La Toile s’est instantanément enflammée à son sujet, et le studio s’en est amusé en détournant cette scène dans sa communication, suivant donc la tendance du moment, agrémentant le meme et continuant de promouvoir le film auprès du plus grand nombre. On peut aussi noter que durant la crise du COVID, la société à organisé des événements et des séances en ligne, pour que les spectateurs continuent d’être divertis et que la boite ne soit pas à l’arrêt. Cette réactivité et cette interactivité avec sa communauté prouve qu’elle est à l’écoute des besoins et des préoccupations de son public, qui se sent entendu et valorisé. C’est une communauté forte et cliente, qui aime sa marque parce que sa marque l’aime.
Enfin, on peut dire que nous assistons à un véritable effet de mode autour d’A24. Dire qu’on est fan d’A24 en 2025 c’est dire qu’on est un cinéphile fan de films indépendants new age, en opposition totale avec le cinéma de blockbuster grand public. Dire qu’on est fan d’A24 en 2025, c’est dire qu’on apprécie le «vrai cinéma». Dire qu’on est fan d’A24 en 2025, c’est être cool. Qu’on soit d’accord ou non avec ces idées, ce sont celles qui collent au studio, et que le studio cultive. D’immenses triomphes comme «The Whale» de Darren Aronofsky qui remporta 2 Oscars en 2022, ou «Everything everywhere all at once» des Daniels qui remporta pas moins de 7 Oscars en 2023, mais aussi la présence de leurs films dans de nombreux festivals comme Cannes ou Sundance n’ont fait que renforcer cette image d’A24 producteur de qualité supérieure. Et les succès récents tels que «Iron Claw» ou «La zone d’intérêt» ne font que corroborer cette image.
Conclusion
A24 est un studio passionnant et qui à réfléchi intelligemment son aspect marketing. Que se soit les films produits, les thématiques abordées, la promotion, le merchandising, l’image de marque et l’entretien de la communauté qui l’entoure, tout est savamment élaboré pour donner à la marque son caractère d’exception. Pour parler chiffres, le studio est l’un des plus prolifiques du moment avec notamment 20 films produits en 2022 (c’est plus que des studios bien ancrés comme la MGM, New Line ou même Paramount, et autant que Warner Bros), et à été estimé à 3,5 milliards de dollars en 2024. Tout le monde veut être fan d’A24, et la conjugaison de tous ces facteurs en à fait, au bout de seulement 13 ans d’existence, l’un des acteurs majeurs du cinéma mondial.

