Les acteurs réalisateurs pour le meilleur et, parfois, pour le pire…
La sortie en salle de Lost River de Ryan Gosling (lire la critique) nous permet de faire un point sur un sujet passionnant : les acteurs qui passent derrière la caméra.
Le passage derrière la caméra un rêve risqué
On le sait passer à la réalisation n’est pas chose aisée pour un acteur. Il doit faire face aux critiques voyant en lui un opportuniste, sans compter tous les procès en légitimité accompagnant généralement la sortie de son film.
Un point essentiel à ne pas perdre de vue : on ne passe jamais par hasard derrière la caméra. Le cinéma est une industrie (très) lourde en terme de logistique et de pesanteurs administratives et un réalisateur doit faire preuve d’une énorme force de persuasion (ou signer un énorme chèque, suivez mon regard…) pour réussir à monter son projet.
Prenons l’exemple de l’un des acteurs-réalisateurs les plus connus au monde : Clint Eastwood. Il passe à la réalisation en 1971 avec le film Un frisson dans la nuit. À l’époque, Clint Eastwood est loin d’être un jeune premier, il a déjà 41 ans et a derrière lui une carrière importante d’acteur et, surtout, a collaboré avec deux géants du cinéma qui lui ont sans doute appris 2 ou 3 choses : Sergio Leone et Don Siegel. Et pourtant, il a dû batailler ferme avec les pontes du studio Universal pour obtenir leur feu vert, ces derniers ne voyant dans sa démarche qu’un caprice de star. Afin d’avoir leur accord, il accepte de ne toucher qu’un salaire minimum en tant que metteur en scène et se contente d’un budget très restreint (on parle de 725 000 dollars !). Et encore, Universal n’a cédé que grâce à l’entremise de Don Siegel, lui-même, qui soutient Clint Eastwood dans sa démarche et accepte de jouer dans le film en tant… qu’acteur. La boucle est donc bouclée ! Eastwood parvient à achever le tournage 2 jours avant la date prévue et réussit même le tour de force de ne pas dépenser tout le budget prévu. Il n’en fallait pas plus pour que notre cher acteur sudiste « obtienne la carte » et soit tranquille jusqu’à aujourd’hui… Des exemples comme celui-ci, d’acteurs-réalisateurs à la carrière aussi longue, il y en a peu dans l’histoire du cinéma. On peut citer : Woody Allen, John Cassavetes, Robert Redford, Kenneth Branagh, c’est à peu près tout.
Qu’est-ce qui fait qu’un acteur décide un jour de passer derrière la caméra ? Vaste question, n’est-ce pas ? Mais, elle est très personnelle et, à mon sens, dépend du parcours individuel de chaque acteur.
Par contre, il est beaucoup plus intéressant de se demander si un acteur peut être un bon réalisateur. Et même, pour aller plus loin dans la perversité (ah ah j’aime bien me torturer l’esprit !), on pourrait se demander si un bon acteur a plus de chances q’un autre de devenir un bon réalisateur.
Un bon acteur a-t-il plus de chance qu’un autre de devenir un bon réalisateur ?
Déjà premier élément de réponse, un acteur expérimenté possède une connaissance très précieuse de la manière dont se déroule un tournage : cela va de l’organisation, du calendrier de tournage à la préparation des équipes.
En effet, on a souvent entendu, parfois même de la bouche d’acteurs passés à la réalisation : « après tout, c’est normal, qui mieux qu’un acteur sait comment se déroule un tournage ? » Certes, mais si on suit cette logique, on pourrait se dire qu’un pilote de formule 1 ferait un excellent garagiste ou qu’une hôtesse de l’air serait une bonne pilote d’avion. On ne compte plus le nombre de grands acteurs ayant réalisé des films moyens : de Marlon Brando (La Vengeance aux deux visages, bof bof), en passant par Al Pacino (Looking for Richard, bien mais pas top) ou Robert De Niro (Il était une fois le Bronx, sympa mais très scolaire, merci papa Sergio Leone…)
Alors quoi, on s’arrête-là et on retourne siroter une menthe à l’eau bien fraîche avec des vraies feuilles de menthe à l’intérieur ? Non plus. Ce qui est intéressant dans ce débat c’est de se demander ce qu’apportent les acteurs lorsqu’ils passent à la réalisation.
En premier lieu, ils devraient apporter leur sensibilité d’acteur. C’est un point réellement positif mais qui, lorsque ce n’est pas maîtrisé, peut donner lieu à des films boursouflés de bons sentiments ou, pire, de scènes grandiloquentes aux excès néo-baroques kitchs et hystériques. L’exemple parfait de ces acteurs-réalisateurs tombant parfois dans les travers de la sensiblerie est bien entendu Sean Penn dans Crossing Guard (sorti en 1995) et surtout, le problématique The Pledge (sorti en 2001). Heureusement, Sean Penn s’est rattrapé avec le sensible et magnifique Into The Wild (sorti en 2007).
Sensibilité contre sensiblerie
Ces derniers temps, on a l’impression que les derniers acteurs à être passés derrière la caméra ont, eux aussi, retenu la leçon et ne veulent pas tomber dans le panneau de l’acteur démiurge voulant réinventer le cinéma. Je pense à George Clooney, par exemple, qui dans ses films a surtout voulu mettre en scène, de façon simple, des histoires passionnantes plutôt que des émotions exacerbées. Dans Confessions d’un homme dangereux (film sorti en 2003), l’histoire importe plus que la mise en scène. Pareil dans Good Night and Good Luck, Les Marches du pouvoir ou dans Monuments Men, son dernier film en date. Je trouve qu’il se soucie moins de la direction d’acteur que de réaliser des films convaincants, certains diront propres sur eux. On sent que le poids de ces projets pèse encore sur ses épaules et qu’il essaye de « faire bien » pour éviter au maximum les critiques qui sont, malheureusement, inévitables.
Même chose pour Ben Affleck qui a réalisé trois très bons films (j’ai un petit faible pour The Town sorti en 2010), mais qui a clairement refusé de faire dans l’emphase et la sensiblerie au profit d’un cinéma sec, voire rugueux, et maîtrisé de bout en bout. Il est évidement que ces acteurs se sachant attendus au tournant préfèrent éviter les critiques faciles et choisissent de passer à la réalisation par le biais de films à la sensibilité tenue voire ténue…
Pourtant, à mon sens, les acteurs devraient se lâcher beaucoup plus et ne pas avoir peur d’étancher leur soif de grandiloquence. Les meilleurs films réalisés par des acteurs ont été fait en dépit du bon sens commun. Bien souvent, personne n’y croyait et personne ne donnait cher de la peau de leurs auteurs. Je veux parler de ces films qui sont autant de preuve que la sensibilité est une arme contre le formatage et ne doit pas faire peur aux acteurs se lançant dans la réalisation. La sensibilité nous débarrassera peut-être un jour de la sensiblerie qui, elle, inonde nos salles obscures.
Mon top des films (sensibles) réalisés par des acteurs :
de John Cassavetes (1976)
2- La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955)
3- Danse avec les loups de Kevin Costner (1990)
4- Easy Rider de Dennis Hopper (1968)
5- La Proie nue de Cornel Wilde (1966)
Cet article vous a été proposé par Doc Ciné, créateur du blog Doc Ciné