Fnac Montparnasse, 2009
Francis Ford Coppola est l’un des plus grands maîtres du cinéma. Il est notamment le réalisateur de la trilogie Le parrain, d’ Apocalypse now, Rusty James ou plus récemment Tetro . C’est à l’occasion de la promotion de ce film que Francis Ford Coppola a rencontré son public à la Fnac de Montparnasse.
Après avoir travaillé pendant des années à Hollywood, vous revenez maintenant à un cinéma plus indépendant, un cinéma d’auteur. Pourquoi ?
C’est un privilège de retourner à un cinéma vraiment plus personnel, quelque chose que je peux contrôler, ou je peux être sincère. Quelque chose ou je n’ai pas toujours quelqu’un au-dessus de moi qui me dise quoi faire. Je reviens donc à des films dont je suis l’auteur complet, effectivement.
Prenez vous toujours du plaisir à filmer ?
On se lève tôt le matin, on monte et on travaille tard le soir. Il y a toujours des problèmes à gérer, mais si le sujet vous intéresse, il vous donne de l’énergie. Avec l’âge, peut être, il faut vraiment que vous ayez du plaisir et de l’envie, de l’émotion pour un film pour vous lancer dans ce processus. Le cinéma est un art très jeune, il n’a que 100 ans. Personne ne sait vraiment ce que c’est que cette langue là, on l’apprend encore. C’est pour ça que le mot Masterclass me parait ridicule. On est tous des étudiants, il n’y a pas de maître. On parle d’un cinéma qui se renouvelle, qui se ré-invente. Vous pouvez m’apprendre sur le cinéma autre chose que ce que moi je peux vous apprendre. Il existe un langage cinématographique, qui comme tout langage s’adapte et évolue. Dans 50 ans, vous serez là, la langue du cinéma aura tellement changé, vous ne pourrez pas la reconnaître. C’est un privilège et c’est aussi un amusement que de travailler dans le cinéma, surtout en ce moment, qui est un moment de transition.
Est-ce qu’il fallait quitter l’Amérique et rejoindre la Roumanie pour L’homme sans âge et l’Argentine pour Tetro pour retrouver justement cette nouvelle énergie ?
Ce n’est pas vraiment ça. Aller dans ces pays là me permettait de diminuer les coûts de production. En ce moment, comme vous le savez, je finance mes propres films, c’est moi qui amène l’argent et donc il ne faut pas que la production perde de l’argent, il faut que tout soit économique. Travailler à l’étranger nous permet d’aller dans un pays ou le taux de change est avantageux par rapport au dollar américain. Cela permet aussi de s’éloigner de la grosse industrie américaine et de s’affranchir des lois qu’elle s’est autoproclamée. Quand vous êtes un étranger, vous pouvez tenter plus de choses, vous avez plus de liberté. Peut être que certains d’entre vous ont aussi ce désir là pour écrire, devenir auteur. Je vais trouver un petit appartement dans un pays étranger et je vais m’y mettre, c’est ici que je vais travailler. Comme vous le savez, le rêve de beaucoup d’artistes, c’est de venir à Paris. Cette ville a accueilli énormément d’artistes. Pour moi, me retrouver dans un pays avec une très forte culture, comme la Roumanie, comme l’Argentine, signifie qu’il y a une culture du théâtre et je vais pouvoir trouver des techniciens, des comédiens… J’essaie de vous expliquer comment abaisser les coûts. Ce qui coûte cher dans le cinéma, c’est les avions, les hôtels, les restaurants, le dédommagement qu’on donne aux gens parce qu’ils sont loin de chez eux. Dans un pays avec une tradition de théâtre, vous aurez donc des techniciens, vous n’aurez pas à les faire venir des États-Unis, et le soir ils rentreront chez eux, mangeront avec leurs enfants et ce sera très bien. Vous pouvez donc dépenser l’argent là ou il doit aller : le temps. Le temps pour élaborer le film, vous n’avez pas 10 jours seulement pour essayer de mettre ça en boite, mais 30 jours 60 jours pour mettre en boite le film.
Vous me faites penser à cette phrase de Salvatore Dali qui disait « Je gagne de l’argent pour peindre ». J’ai l’impression que vous avez gagné de l’argent pour faire des films.
Vous savez, je pense que si vous gagnez à la loterie, beaucoup pari vous diraient « Je produis un film, mon film » Une fois que vous avez nourri votre famille, qu’est-ce que vous pouvez faire avec de l’argent ? C’est super, beaucoup mieux que d’aller voir les producteurs et de mendier « s’il vous plait, laissez-moi faire un autre film ».
Le propos de Tetro est apparemment très personnel et pourtant vous avez dit « Aucun élément de Tetro n’est arrivé mais tout est vrai. »
Naturellement, c’est une fiction, mais tout est vrai, dans le sens où tout ce qui est dit dans le film a été dit dans ma vie. Pas forcément par les mêmes personnages, ce n’est peut être pas le père qui l’a dit, c’est quelqu’un d’autre. Voilà ce que c’est qu’un travail d’artiste, c’est puiser dans son existence des éléments et d’en faire quelque chose.
Est-ce que vous vous êtes déjà senti un cinéaste sans film à faire ?
Faire des films, c’est apprendre, on apprend toujours, sur soi, sur la technique, sur le temps.
Une question sur le noir et blanc, que vous retrouvez des années après Rusty James, une autre histoire de frères. Pourquoi est-ce que vous teniez au noir et blanc ?
Dès l’écriture, j’ai conçu et j’ai vu ce film en noir et blanc. Le noir et blanc a un réalisme poétique et c’est comme ça que je le voyais.
Pensez vous qu’en 2009 il est possible de commencer un film à gros budget sans savoir quelle sera la fin de ce film, comme par exemple Apocalypse Now ?
En fait je savais bien la fin quand j’ai commencé à faire le film puisqu’il y avait un scénario de John Milius. A l’origine, on voulait faire un grand film de guerre, un grand succès, c’était ça notre intention. Notre idée folle à l’époque à Hollywood, c’est qu’on voulait faire des films qui gagnent de l’argent et ensuite rentrer chez nous et faire les petits films d’arts qu’on voulait, les petits films personnels. Arrivé sur place, en commençant à travailler aux Philippines, l’idée de la guerre a commencé à nous envahir, les imageries de la guerre, une guerre hallucinée. J’avais toujours sur moi « Au cœur des ténèbres » de Conrad et tout cela a commencé à changer la nature même du projet. C’est une règle que je m’applique, certains d’entre vous, si vous êtes acteurs, faites ça aussi, c’est que j’essaie de me sentir disponible et d’accueillir tout ce qui arrive, tous les événements extérieurs et de les incorporer, c’est ma façon de faire, et voilà ce qui s’est passé, c’est que la réalité a bousculé le film que j’avais en tête. Je laissais donc ces changements arriver, intervenir dans le film, j’y étais ouvert et en même temps, le film prenait une autre tournure et la fin assez conventionnelle du scénario ne lui convenait plus. Il me fallait donc changer la fin et en trouver une qui convienne au film tel qu’il était devenu et qui convienne à ce sujet là, cette guerre étrange. Et donc, ironiquement, je ne me retrouvais pas à faire un gros film pour gagner de l’argent mais à faire un gros film personnel, et c’est donc devenu un objet bizarre. A savoir si on pourrait faire cela en 2009 ? Je ne sais pas parce que je pose chaque film comme une question et le film lui-même est la réponse. Je ne peux pas dire oui ou non.
Au sujet d’Apocalyspe Now, il y a un documentaire exceptionnel réalisé par votre femme que l’on ne peut pas voir en DVD ? C’est l’un des plus beaux documents sur un tournage de film, les conflits avec les acteurs…
Si, ça va ressortir très bientôt. Vous savez, j’ai demandé à ma femme de réaliser ce film pour qu’elle vienne avec moi sur le tournage. A chaque fois que je me déplaçais loin, je prenais toujours mes enfants, je les retirais de l’école et ils me suivaient. Elle me disait toujours, « Je n’aime pas aller sur les tournages, je n’ai rien à y faire ». Je lui ai donc donné une caméra pour qu’elle fasse un documentaire sur le film. Chaque soir, je rentrais chez moi et je disais que c’était terrible, qu’on courait à la catastrophe, que ça ne menait nulle part et ma femme était là pour me réconforter. Mais au lieu de me réconforter, elle prenait la caméra et me demandait de répéter ce que je venais de dire.
Avec quels acteurs français aimeriez-vous travailler ?
Vous savez je ne connais pas vraiment les acteurs français et je ne travaille pas vraiment en faisant un film pour des acteurs mais dans l’autre sens. J’écris, et au fur et à mesure je me dis que tel acteur pourrait être bien pour tel rôle. Il y a des cultures cinématographiques et des industries dans le monde entier et il y a forcément partout des acteurs intéressants avec qui travailler.
Vous avez travaillé avec les plus grands acteurs américains (De niro, Pacino, Brando…), vous avez révélé une énorme génération d’acteurs jusqu’à Vincent Gallo. Comment les choisissez-vous ?
A l’origine je travaillais avec de jeunes acteurs car je n’avais pas les moyens de me payer des vedettes. J’ai donc travaillé principalement avec de jeunes talents à qui j’ai voulu donner leur chance ou avec des acteurs confirmés dont l’étoile avait un peu faiblie. Souvenez vous de Travolta, avant Tarantino, il n’avait pas de rôle. Marlon Brando pareil, son époque était finie.
C’est tout un processus de choisir ces jeunes talents, et j’organise une journée de testing et je passe ma journée à serrer la main et à dire bonjour à des centaines de comédiens, juste pour voir, sentir quelques chose. C’est comme pour vous, vous rencontrez des gens, et quand vous rentrez chez vous, vous dites « telle personne m’a marquée », pas forcément quelqu’un de beau, mais il y a un truc. Si je me souviens d’une personne après un testing, elle mérite peut être d’être revue, comme dans la vraie vie.
Comment était votre expérience avec le producteur Roger Corman ?
En sortant de l’université il y avait une annonce et je suis allé le trouver. « Roger Corman recherche quelqu’un pour un prochain film qui sait parler russe ». Je n’avais pas d’argent, il me fallait un boulot alors je me suis présenté. Il avait acheté les droits pour un film de science fiction russe. Il voulait le transformer au doublage, car c’était un film un peu théorique, plein d’idéalisme, et lui voulait un truc d’horreur. Mon boulot était donc de regarder la version russe et d’essayer d’écrire un texte qui puisse convenir, à peu près synchrone avec les lèvres des personnes. J’essayais de faire du bon boulot, je travaillais tard le soir mais surtout j’essayais de faire vraiment bien attention à ce que le matin, lorsque Roger arrivait au boulot, je sois affalé sur la table comme si j’avais bossé comme un fou tout la nuit. Il m’a alors remarqué et proposé d’être son assistant. J’étais ému, et heureux. En plus, j’allais gagner 80$ par semaine moi qui ne gagnais rien du tout. Un jour il me dit « On part en Europe, on va tourner un film. J’ai une machine pour le son, est-ce que tu connaîtrais quelqu’un qui sache faire fonctionner cette machine là ? » Je lui ai répondu « Oui, oui, je sais m’en servir, je suis un grand spécialiste du son »… J’ai alors passé la nuit à lire le manuel, mais il m’a engagé et j’ai été ingénieur du son. Puis il est revenu aux Etats Unis, là où il avait tout le matériel pour tourner des films, je lui ai alors dit : « Mais peut être que je pourrais prendre ce matériel, une caméra, et le tourner moi ce film. » Toute la nuit je suis resté éveillé et j’ai écrit une scène d’ouverture d’un film et je lui ai montré. Il m’a donc dit d’aller le faire en Irlande parce que là bas ils parlent anglais et que je pourrais très bien le faire. Il m’a donné 20 000$ comme budget pour faire le film. Sur place, j’ai rencontré un anglais, je lui ai expliqué que j’étais ici pour faire un film d’horreur. Il m’a alors proposé 20 000$ pour les droits anglais du film. Du coup je me retrouvais avec 40 000$. J’ai appelé Roger pour lui dire que j’avais vendu les droits anglais pour 20 000$ et il m’a dit « Super, envoie moi les 20 000$ et continue à faire ton film. Je lui ai dit « Non, je garde le fric et je vais faire le film avec.». C’était dans les années 60, le film s’est appelé Dementia 13. C’était le genre de film que l’on faisait avec Roger, c’était vraiment étudiant comme ambiance. Roger a donné leur chance à plein de gens comme cela. C’est ainsi que j’ai appris à faire un film avec très peu d’argent.
Je voudrais que vous nous parliez de vos souvenirs sur votre collaboration avec Stuart Copeland pour la musique de Rusty James. Et pourquoi l’aviez vous choisi ?
En préparant Rusty James, j’avais dans mes oreilles un certain genre de musique. Pendant les répétitions, je pensais même que j’allais créer les musiques moi-même. En fait, le motif récurent du film, c’est le temps qui passe et j’avais en tête le tic-tac d’une horloge, donc on a bricolé un truc nous même. Durant le tournage, mon fils m’a conseillé de travailler avec Copeland, le batteur du groupe Police. Il est venu, il a été super sympa et il a enregistré sa partie de percussions. Il a été tellement enthousiaste qu’il nous a demandé s’il pouvait faire d’autres morceaux, composer la musique lui-même. C’est finalement ça le thème de la conversation que nous avons ici aussi : Rester ouvert à ce qui nous arrive, aux collaborations. Même si vous avez votre projet en tête, l’idée c’est de rester ouvert à la collaboration et aux idées de l’extérieur. Il faut faire ce que Napoléon disait « Utilisez les armes que vous avez sous la main ».
Vous avez été au cœur des transitions, des innovations, notamment lorsque vous avez créé cet appareil qui vous permettait de tout commander, le début du cinéma électronique, avec votre studio Zootrope. Selon vous, quel est l’avenir du cinéma, ses prochaines évolutions ?
Il est certain que lorsqu’on faisait Apocalypse Now, avec les explosions, les hélicoptères, qu’on était dans la boue, je me suis dit qu’il devait y avoir une meilleure façon de faire, et c’est ça qui m’est venu, que le cinéma allait être complètement électronique, que ce serait aussi beau que le 35mm et même un jour encore plus beau. En fait, ce que vous appelez le numérique, et que j’appelais le cinéma électronique, allait pour moi remplacer les choses et que finalement on allait trouver un renouveau des choses. Le film traditionnel est un procédé photomécanique et avec l’électronique, on a quelque chose de plus créatif. On savait aussi, par nos amis qui travaillaient dans le son, que les choses devenaient électroniques et que le numérique prenait le pas. Ils étaient en train de passer du mécanique au digital et ils voyaient ce que cela permettait. Vous pouviez avec un petit clavier donner l’impression que vous aviez un orchestre. Je me disais, si cela marche pour le son, cela marchera pour l’image. Après l’expérience d’Apocalypse Now, lorsque je suis rentré en Amérique, j’étais certain que le cinéma, un jour, serait numérique. Je me rappelle un soir, Warren Beatty, qui était toujours intéressé par ce que je faisais, ce que je tournais, est venu me voir et je lui ai dit qu’un jour, le cinéma allait être complètement électronique, qu’on allait pouvoir enlever des éléments de l’image, rajouter un hélicoptère. Et un jour, si jamais tu veux jouer le rôle d’un enfant, on va te filmer, tu joueras le rôle de l’enfant, et à l’image, tu auras l’air d’un enfant. Tu pourras même jouer tous les rôles du film, comme le musicien peut jouer plusieurs instruments avec un clavier. Warren écoutait cela, ma femme était juste à coté. Warren, en fait, était très très sympa avec toutes les femmes. Il me regarde, se penche vers ma femme, et avant même que je m’en rende compte, j’étais dans un voiture traversant San Francisco pour voir un médecin et celui-ci m’a conseillé de prendre du Lythium. Warren Beatty leur avait dit que j’étais fou, et pourtant, c’est bien comme cela que ça s’est passé. L’année d’après, j’étais l’un de présentateurs des oscars et j’allais remettre une récompense à Michael Cimino pour Voyage au bout de l’enfer et avant de lui remettre j’ai voulu dire un mot, que nous changions d’époque et je leur ai expliqué la même chose qu’à Warren. 2000 personnes devant moi tiraient une tronche… et moi je continuais, et au bout d’un moment, la personne qui m’accompagnait sur scène m’a coupé et a dit « Avant qu’on en vienne au cinéma du futur, il faudrait remettre cet Oscar ». Bien sur, à ce moment là, tous les gens qui m’écoutaient me prenaient pour un fou, et aujourd’hui, le cinéma est numérique et on peut faire des choses auxquelles on ne pensait pas du tout auparavant. Je pense que dans trois, quatre ans, tous les films seront en numérique et les films seront projetés en salles avec ce moyen là. Il y a aussi un nouveau potentiel dans le fait que le cinéma soit aujourd’hui numérique. L’industrie est en crise, beaucoup de gens perdent de l’argent, parce que le public a beaucoup d’autres spectacles possibles, le sport, des musées, même les infos à la télévision sont devenues des spectacles, on le sait tous. Et il y a en plus ces nouveaux supports, médias, les téléchargements… D’ailleurs, à la question: Est-ce que les gens ont le droit de télécharger des fichiers?, je ne devrais peut être pas le dire ici, mais je pense que oui. La question qu’il faut se poser est de savoir comment le cinéma va survivre. Comme tous les arts, il doit évoluer, trouver un autre court, tout comme le langage, qui évolue au fil des années. A mon avis, dans quelques années, lorsque les gens iront au cinéma, tout sera en numérique. Qu’est ce que cela signifie ? Le film sera malléable, il deviendra virtuel. Concrètement, si le réalisateur est présent pendant la projection, il pourra transformer son film en direct, à chaque séance, à chaque public. Nous connaissons tous le cinéma, mais ce n’est pas parce que nous avons une culture cinématographique que nous savons la direction que le cinéma va emprunter. Le cinéma va devenir transformable tout comme l’Opéra pouvait l’être. Le chef d’orchestre pouvait, si un passage avait du succès, choisir de le rejouer. Voyez ce qui se passe dans la musique, les Rolling Stones font des tournées et les gens payent pour aller les voir et après ils font des disques. Pourquoi le cinéma doit-il rester immobile et pourquoi devrait-il être privé de ce côté immédiat et vivant ? Ne dit-on pas que le théâtre est mort depuis 60 ans ? Tout ce que l’on va voir est de l’ancien, et sur scène, on essaie de nous faire croire qu’on est au cinéma, il y a un gros plan sur l’acteur qui joue et il est retranscrit sur un écran, le théâtre joue au cinéma. Et si ces deux formes d’art, le cinéma et le théâtre ne se rejoignaient pas ? Il pourrait y avoir des tournées de films, que les gens iraient voir, comme un événement, et après on ferait des DVD de cet événement central et vivant. J’imagine bien que quelqu’un va m’emmener dans une ambulance et m’emmener voir un médecin ici après ce que je viens de dire. Il est certain que le cinéma survivra mais ce sera dans une autre forme que celle que l’on connait pour l’instant.
Je voulais savoir si vous aviez abandonné votre projet Megalopolis ?
Je fais ce dont j’ai envie, selon mes désirs, je ne sais donc pas à l’avance ce que je vais faire. Megalopolis était autour du sujet de l’utopie. J’étais dans l’idée que l’humanité était arrivée à un âge de bon sens, où elle allait trouver les moyens de se sortir de ses problèmes, bref, aller vers le progrès. Je le pense toujours, mais je crois aussi que cela ne sera pas pour la semaine prochaine. On tournait lors du 11 septembre, j’ai des images filmées de l’événement. Dès lors, j’ai compris qu’il serait impossible de tourner ce film après ces événements là, comme si de rien n’était, alors je suis parti vers autre chose.
Pourquoi vous êtes vous intéressé en particulier à la guerre du Vietnam et pourquoi vous n’avez pas pris une autre guerre ?
A l’époque c’était la guerre que personne ne voulait filmer, il n’y avait pas eu de film sur la guerre du Vietnam, c’est une guerre qui n’existait pas au cinéma. John Milius avait écrit ce scénario tellement étrange et tellement fort, c’était quelque chose d’important. Au départ, ce n’est pas moi qui devait réaliser ce film mais George Lucas mais celui-ci a préféré se consacrer à un autre projet qui a finalement pris le nom de Star Wars. J’avais les droits du film donc j’ai proposé à John Milius de le réaliser… mais il faisait Conan Le Barbare à l’époque alors je me suis dit que je pourrais le faire, que l’on gagnerait plein d’argent avec ce grand film de guerre et qu’après je pourrais retourner à mes films personnels.
Pourquoi dans Rusty James, seuls les poissons sont en couleur ?
Si j’ai fait ce film en noir et blanc, c’est avant tout parce que le personnage, dans le livre, ne voit pas les couleurs. Le poisson est la métaphore de ces personnages et donc je me suis dit qu’il serait bien de les faire ressortir. D’ailleurs, je ne me souviens d’aucun film en noir et blanc avant Rusty James qui ait des éléments en couleur.
Vous disiez que vous ne vous considériez pas comme un maître mais comme un étudiant. Pourriez vous nous dire qui sont vos maîtres et dans quels domaines ?
La littérature me donne beaucoup d’inspiration. Au cinéma, je dirais Murnau, allez voir ses films fait dans les années 20 et 30 en Allemagne.
On me demande quels sont mes 5 films préférés mais j’en ai une centaine, d’ailleurs c’est assez extraordinaire d’avoir, pour une forme d’art qui n’a que 100 ans, d’avoir produit tant de découvertes et tant de chefs d’œuvre. Je me demande toujours ce qu’aurait fait Goethe avec le cinéma parce qu’il était poète, scientifique… Il aurait adoré le cinéma.
Laissez-vous beaucoup de liberté à vos acteurs ou vous avez une idée précise de ce que vous voulez qu’ils fassent ?
Avant chaque film, je réunis tout le monde dans une pièce, ce n’est pas dans les décors et on est juste ensemble pendant deux semaines. On se réunit et j’ai simplement une table avec des objets, des choses qui peuvent nous servir, des lunettes, divers accessoires. Un acteur, c’est quelqu’un qui a peur, surtout au début du processus donc je préfère faire des jeux, des improvisations. Par exemple si j’ai des acteurs qui vont jouer un couple marié, je leur demande de jouer leur rencontre. Cela leur fait des souvenirs en tant que personnage, cela leur donne un background. Au bout de deux semaines, dans ce processus, le personnage devient l’acteur, et vous pouvez tout à faire dire au comédien de traverser la rue et d’appeler un taxi et il le fera exactement dans son personnage. Après ce processus l’acteur connait le personnage mieux que quiconque et c’est à ce moment là qu’il faut l’écouter et rester disponible à ses suggestions car l’acteur connait le personnage mieux que personne.
Vous avez vécu dans le nouvel Hollywood. 30 ans plus tard, quel regard portez vous et notamment sur Star Wars qui est à la fois un des « membres » du nouvel hollywood sans forcément en avoir l’esprit ?
Si la question concerne Star Wars, je pense que lorsque vous produisez et réalisez quelque chose qui a un tel succès, énorme, planétaire, et il est tentant, irrésistible de ne pas essayer de le refaire, de le continuer. Moi-même lorsque j’ai fait Le parrain, jamais je n’ai pensé qu’il y aurait une suite et encore moins un troisième. Le premier film était une histoire qui tenait debout toute seule et qui avait une fin, mais après, les gens reviennent vers vous et il est tentant d’accepter ça. L’industrie du cinéma aime ça, éviter le risque. C’est pour cela que vous voyez toujours cela dans les multiplexes, on refait toujours la même chose. Sauf que le cinéma est aussi un art, et l’art a besoin de risques pour évoluer.
Après s’être autant investi dans un film, cela n’est-il pas trop frustrant que son sort soit remis entre les mains du distributeur et de ses compétences marketing ? Comment le ressentez-vous ?
C’est comme tout mariage ou tout couple: vous tombez amoureux de quelqu’un et au bout d’un moment vous le détestez. Dans le cadre de Tetro, j’ai confié la distribution à une petite société, Memento Films, et ils travaillent vraiment d’arrache pied pour le film.
Merci à la Fnac pour cette incroyable rencontre. Pour en savoir plus sur Coppola, retrouvez sa biographie ici.