On poursuit notre série d’interviews de jeunes cinéastes et cinéastes indépendants avec Gregory Sacré, réalisateur passionné et hyperactif à l’origine de nombreux projets.
Bonjour Greg, peux tu commencer par te présenter ?
Je m’appelle Grégory Sacré, j’ai 30 ans et je vie actuellement à Reims. Je fais pas mal de choses par le biais de mon métier (graphiste, monteur, motion design, etc) et par le biais de mon association Varock Films que je dirige en tant que directeur depuis 2004 où j’y réalise des films, je fais des effets spéciaux numériques, du titrage, des affiches… Bref : je n’ai pas le temps de m’ennuyer !
Pourquoi la réalisation ?
Depuis tout petit mon but était de raconter des histoires. Étant fan de jeux vidéos depuis des lustres, j’ai toujours voulu me diriger dans ce domaine… Et puis j’ai fini par me dire que le cinéma correspondait plus à la manière dont je voulais raconter ces histoires. Le souci c’est que les études m’ont royalement gonflé et que je ne me voyais pas aller dans une école de ciné ou autre. J’ai donc décidé à 18 ans de tout plaquer, de faire des petits boulots et de me payer une petite caméra. J’ai appris au fur et à mesure, souvent en me cassant la gueule ! Avant tout, j’éprouve le besoin de raconter des histoires qui me donnent envie et qui véhiculent quelque chose quand j’en parle autour de moi. Qu’importe les moyens, une fois que je me lance dans un projet : je vais jusqu’au bout. Après je pourrais partir sur un long discours sur les thèmes que j’aime aborder et les manières de faire mais je vais essayer de me limiter !
Justement, cela peut être très intéressant de rentrer sur les thèmes et les manières de faire, tu peux te lâcher !
Au tout départ, ce n’était qu’une envie profonde : montrer aux gens par l’image ce que j’ai dans la tête, mon imaginaire. Puis, à force de réaliser, de toucher à d’autres domaines, d’apprendre, de vieillir, peu à peu ça change ! J’éprouve maintenant différents besoins quand je me lance dans un projet. Je ne parle pas des petits courts que je peux faire juste pour explorer une idée, une blague ou un essai visuel mais vraiment des gros projets qui me tiennent à cœur. J’ai littéralement envie de faire passer certaines de mes obsessions comme le rapport qu’on a avec la nourriture. J’adore filmer de la bouffe et voir des gens manger, c’est toujours un truc qui me fascine au cinéma et qu’on voit trop rarement, pourtant ça donne tout de suite à tel ou tel personnage un côté vrai : il fait ce que tout le monde fait ! La rencontre entre réel et imaginaire m’attire, et surtout le fait d’introduire et de rendre crédible tout ce petit monde avec les moyens que j’aurai à disposition. Ce qui n’est pas toujours facile. Du coup, j’ai de plus en plus envie d’aborder d’autres thèmes tout en gardant ceux qui me tiennent à cœur. Gâchette (voir plus bas) en est un parfait exemple. Et puis, derrière tout ça il y a l’idée de faire plaisirs aux gens ! Je me fais plaisir en faisant le film et j’ai envie que ça se sente ! C’est pour ça que j’aime les making-of où l’on ressent ce côté décomplexé et « familial » d’un tournage, aussi dur et éprouvant qu’il peut être. Si une personne rigole ou est dégoûtée en voyant un de mes films : je serai ravi !
Est-ce ta seule activité ?
Non pas du tout ! Comme je le disais au dessus, je travaille à mi-temps dans une boîte de prod, Emergence Production, où je fais du graphisme, du web et surtout de la vidéo (clips, films d’entreprises, teasers, etc…) et du motion design. L’après-midi c’est pour mon asso que je m’active, que ce soit pour des projets persos ou des prestations. A côté, je suis aussi comédien et metteur en scène d’une compagnie de théâtre (la compagnie Sans Nom) et… je n’oublie jamais ma vie de famille qui me permet de tenir et de pouvoir faire ce que je fais !
Peux-tu nous présenter ton association, Varock films ?
C’est une association loi 1901 créée en 2004. Son but premier est d’aider à la création audiovisuelle. Nous sommes une petite quarantaine de membres qui faisons un peu de tout, certains sont dans le montage, d’autres dans l’écriture. On essaie d’avoir un panel de talents. Chacun peut se lancer dans un projet et nous ferons tout ce que nous pourrons faire pour l’aider à voir le jour en lui mettant à disposition du matos et surtout des contacts. Pour la partie budget par contre on se limite beaucoup, l’association est en effet auto-financée. Nous n’avons jamais eu la chance de bénéficier de subventions, que ce soit pour du fonctionnement ou pour un film… C’est donc un challenge tous les jours ! Mais quelque part… ça file la gniak ! On a maintenant plus d’une soixantaine de projets montés (en comptant nos 2VU qui sont des très courts sur un thème donné).
Tu fais des films de genre, est-ce que cela t’amène des contraintes supplémentaires ? Si oui, lesquelles, et comment essaies-tu d’y remédier ?
Je ne me vois pas comme un réalisateur de genre. Pas exclusivement. Je suis un curieux, j’aime beaucoup de choses et je n’ai pas envie de devenir réalisateur de films d’horreur ou de thriller uniquement. Majoritairement, j’ai réalisé du genre parce que c’est ce qui me parle le plus, c’est aussi beaucoup plus souple quand on veut apprendre des choses, essayer telle ou telle technique. Là où ça nous amène des contraintes c’est plus en terme d’argent et de subventions. La région où nous sommes ne voit pas ce « genre » de cinéma d’un bon œil et si on ne fait pas des films typiquement « d’auteur français » ça ne passe pas souvent…
Peux tu nous parler des films que tu as réalisé jusqu’à maintenant ?
J’ai commencé avec ZERO qui est une satire sur la télé réalité tournée en caméra subjective. Je commençais tout juste et je ne connaissais rien à la vidéo et aux méthodes, j’ai donc du palier à pas mal de choses pour ne pas faire trop cheap à l’époque. J’ai rapidement embrayé avec un diptyque sur un enfant qui entretient différents rapport avec la nature: Racine. Cette histoire était inspirée d’un long que j’ai écris en 2003 et que je continue de porter dans mon cœur. D’ailleurs, ma femme travaille sur une version littéraire.
J’ai ensuite réalisé Cloaque, survival qui marque ma première collaboration avec le spécialiste des effets spéciaux David Scherer. Comme une envie d’être sourd… qui est mon premier très court sur un homme au bout du rouleau et qui est obsédé par un bruit. En 2006, l’association a commencé à prendre un peu d’ampleur et j’ai pu commencer à travailler avec d’autres personnes, j’ai donc réalisé un court métrage sur le jungle speed, Totem Carnage, comédie où s’affrontent les champions du monde dans un match à mort (et je ne perds pas espoir d’en faire une suite un jour avec plus de moyens). Puis Trapped Inside Dolls, un film d’horreur sur 4 personnes enfermées dans une pièce glauque et qui se font torturer par un mage vaudou.
C’est après tout ça qu’on m’a proposé de réaliser un segment de feu la série Terror Project 6. J’ai du coup réalisé Spécialité du chef qui est un film de zombie, l’histoire d’un homme qui se réveille pendu à une chaîne dans un frigo dans un resto chinois. J’ai pu compter sur l’aide précieuse de Jérémy Caravita, spécialiste des effets spéciaux, qui m’a permis de faire le film de cette façon. Le film est d’ailleurs sortie en DVD grâce à Oh my gore production et vous pouvez le trouver un peu partout. Après j’ai fait quelques 2VU. J’ai beaucoup participé aux projets des autres membres en essayant toujours d’apporter mon aide en tant que chef op, monteur, acteur, etc… Puis, en 2010, je me lance dans un autre gros projet qui est Un rythme d’enfer qui est un moyen métrage. Ouf… Je fais une sélection et je ne parle pas de ce que j’ai fais entre et après…
Avec Un rythme d’enfer, tu mélanges la comédie et le fantastique. Qu’est ce qui est le plus difficile à rendre crédible selon toi ?
La comédie est beaucoup plus difficile que le fantastique. Faire rire une personne n’est pas donné à tous et trouver le « bon ton » est un casse tête. C’est d’ailleurs l’un des points qui me revient ces dernières années, le fait de rendre mes films crédibles aux yeux des autres, que mes personnages existent dans le monde que je leur montre et qu’ils ne fassent jamais tâche. Le fantastique au final est, selon moi, plus simple puisque c’est souvent par le biais d’artifices qu’on l’introduit. Dès que l’on montre un personnage qui n’existerait pas dans notre monde, ou une lumière étrange et j’en passe : on est tout de suite dans ce domaine. Après qu’on y croit ou pas est une autre paire de manches ! Le plus dur dans ce court était justement de trouver le bon équilibre. Mais je voulais vraiment que le côté comédie prenne le dessus, qu’on en vienne à oublier le côté fantastique pour mieux le réintroduire à la fin !
Et quel sera ton prochain film ?
Le prochain se nomme Gâchette. Ça représente mon plus gros film en durée, il fait plus de 40 min, en investissement (c’est un personnage que j’ai créé il y a très longtemps et qui n’a cessé d’évoluer), en budget, en… tout ! C’est une masse de boulot pas possible ! Toute l’équipe s’est aussi investie à fond et l’expérience a été dure pour certains mais vraiment formatrice. Ce film, il fallait que je le fasse. En fait, c’est une histoire d’un long qui s’appelle Green Fudge, qui parle d’une vieille crème dessert retirée du marché parce qu’elle donne des réactions bizarres aux gens qui la mangent. Le personnage de Gâchette, qui est une légende vivante dans le milieu mafieux, se retrouve en plein dans un merdier pas possible lié à cette crème dessert. Cette histoire nous l’avons retravaillée pendant de longs mois avec la précieuse aide de Fabien Ribaud qui est scénariste de BD et qui avait écrit Un Rythme d’enfer. Au fur et à mesure, je voyais l’ampleur que ça prenait : le but était d’en faire un vrai et beau dossier de prod à présenter, et j’ai dit stop : Pourquoi ne pas introduire les personnages clés et le concept de cette crème dans un film qui servirait de hors d’œuvre ? Une préquelle au long ? Juste pour appuyer le dossier de prod. On a tout mis en stand by, on a discuté de quelque idées de l’avant « Green Fudge » et une fois que nous avions une trame, Fabien a écrit le film. Le point fort c’est qu’avec tout le travail de background que nous avions fait pour le long, nos personnages n’en étaient que plus forts ! J’en suis vraiment content et j’ai vraiment hâte de pouvoir le montrer ! Il est actuellement au stade des effets numériques et de la musique. En juin, nous allons commencez la post prod son du film… C’est long mais on voit le bout ! (voir le teaser ci-dessous)
Es-tu également auteur de certains de tes films ou simplement réalisateur ?
Au début j’écrivais pratiquement tous mes scénarii. Puis j’ai vu qu’un bon projet de film, c’est avant tout la bonne fusion d’une équipe et le bien que ça pouvait faire de s’entourer des bonnes personnes. C’est pourquoi je préfère maintenant apporter des idées et de les re-travailler avec un vrai scénariste.
Si tu devais donner un conseil à tous les réalisateurs amateurs, quel est selon toi le plus important pour réussir ?
Plusieurs conseils même. Le premier, c’est de ne jamais abandonner et de toujours montrer massivement son travail. Il faut savoir se casser la gueule pour apprendre à marcher. De ne pas se voir tout de suite aussi en haut de l’affiche. Plus vous vous faites plaisir à faire votre travail, plus la passion jaillira de votre film. Après… c’est la curiosité : Soyez curieux de tout, de toutes les étapes de la conception d’un film, de la direction d’acteurs à comment on fait un mixage son, tout est bon à prendre !
Peux-tu citer l’un de tes réalisateurs préférés et les raisons qui te font aimer son œuvre ?
Je pourrais en citer trois surtout : John Carpenter, Takashi Miike et Paul Verhoeven. Mais Big John reste le top ! Le fait qu’il soit toujours resté intègre dans son métier est extraordinaire. Et c’est aussi cette patte qu’il arrive à avoir, le fait d’avoir un plan en scope et trois notes de synthé pour se dire : tiens, c’est pas John Carpenter qui réalise ? Je trouve ça d’enfer ! Et puis le cinéma fantastique reste avant tout ce qui m’a fait aimer le cinéma… et Carpenter reste le maître !