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Les conseils du chef opérateur Ed Lachman

Ed Lachman en masterclass

Avec deux nominations aux Oscars pour son travail, Ed Lachman n’est pas un amateur, loin de là. Il a collaboré avec de grands réalisateurs comme Todd Haynes, Sofia Coppola ou encore Steven Soderbergh. Il a signé la photographie de films cultes ou acclamés par la critique comme Virgin Suicides, Carol, Loin du paradis ou encore Ken Park.

A l’occasion du New York Film Festival 2018, le célèbre Directeur Photo a donné une Masterclass, que vous pouvez retrouver en intégralité un peu plus bas dans cet article. De mon côté, je vais reprendre quelques conseils qu’il a donné durant son intervention, et qui pourront être très utiles aux Chefs Opérateurs en début de carrière.

Les conseils d’Ed Lachman

Le réalisateur a probablement déjà en tête ce qu’il veut faire avec son film (et tant mieux). Cependant, il ne faut surtout pas avoir peur d’arriver avec des idées. Le cinéma est avant tout un art collectif, et si le réalisateur vous sollicite, c’est bien qu’il a besoin de vous ! Voilà ce que Ed Lachman dit à ce sujet :

« Quand je lis un script, j’ai plein d’idées visuelles et je vais généralement à une rencontre avec un réalisateur avec des books (équivalent du moodboard). Je montre alors mes idées. Certains réalisateurs, je me suis rendu, se sentent menacés par cette démarche. Peut être qu’eux-même n’ont pas encore d’idées. Je suis certain que je n’ai pas fait certains films à cause de ça  Je me souviens d’un entretien, j’ai dit « Voyez-vous ce film comme une oeuvre naturaliste ou expressionniste ? » Et le réalisateur me regarde et réponds « Que voulez-vous dire ? » Je savais déjà que je n’allais pas avoir le job ! Je pense simplement que vous devez être très franc, et même si ces idées ne sont pas les siennes, au moins il sait que j’en ai. Si vous êtes Directeur Photo, venez avec vos idées et dites « Ce n’est probablement pas la seule option, mais voici une possibilité d’approche à laquelle j’ai pensé pour cette histoire. » Vous devez trouver un langage commun avec le réalisateur.

Cela s’applique à tous les jobs, mais la capacité d’adaptation est essentielle sur un tournage. Même si Alfred Hitchcock est le contre-exemple parfait, il faut savoir mettre de côté le scénario et le découpage technique !

 » Vous arrivez forcément avec des idées préconçues, mais vous devez aussi être en phase, être connecté avec ce qui se passe devant vous. Parce qu’un film, cela se vie sur le moment. Je pense que les réalisateurs qui sont rigides et s’accrochent à une idée ratent parfois ce qui est sous leurs yeux. Il faut rester ouvert dans ces situations. » 

Certains réalisateurs, peut-être encore plus en France qu’aux Etats-Unis, n’ont pas forcément une éducation technique très poussée

, et on peut, d’une certaine manière, dire qu’ils ne sont pas des réalisateurs visuels. Il est essentiel de trouver la bonne formule pour communiquer avec eux.

« Tout est dans la préparation. Je considère que les images sont une question de point de vue et de narration. A travers quelle regard racontez-vous votre histoire ? C’est un indice sur comment aborder le visuel. Quand je travaille avec Todd Haynes, qui fait beaucoup de recherche visuelle à-propos de ses idées, c’est très facile de comprendre le sens de ses images. Je fais forcément des ajouts, mais l’initiative vient de lui. Tous les réalisateurs ne sont pas visuels. Pour moi, la cinématographie est le langage du cinéma, pas les mots. Quand vous travaillez avec un réalisateur qui n’est pas visuel, vous devez trouver un terrain d’entente pour leur montrer peut être une métaphore pour l’histoire. Cela ne va pas enlever leur idée. »

Peu de réalisateurs manipulent eux-même la caméra, et très souvent, les Directeur de la Photographie eux-même travaillent avec un cadreur et ne font pas les mouvements de caméra durant la prise de vue. Mais ce n’est pas toujours le cas !

« Sur le dernier film de Steven Soderbergh, il a lui-même opéré la caméra sur la moitié du film. Je pense qu’il est devenu un très bon cameraman. Les réalisateurs disent, et c’est plutôt juste, que les opérateurs caméra sont la première audience pour l’acteur. Voir une performance à travers la caméra est une relation formidable entre l’acteur et le Chef Opérateur. D’ailleurs, très souvent, ils vont vous regarder pour avoir une réaction, savoir si la prise est bonne ou pas. Donc je comprends pourquoi certains réalisateurs veulent filmer eux-même. »

Selon Ed Lachman, il ne faut pas forcément toujours rechercher l’esthétique parfait, l’image belle, même si c’est une tendance actuelle du cinéma et encore plus des séries TV. L’image utile et authentique est bien plus importante.

« Authentique, c’est le mot parfait. Les images représentent l’histoire. Dans la publicité et certains films hollywoodiens, ils s’efforcent toujours d’atteindre une certaine perfection. Mais il perdent la vie ce qu’est l’image. C’est ce que vous devez vraiment chercher lorsque vous êtes réalisateurs ou créateurs d’images. Trouvez les images qui traduisent les histoires, qui sont une métaphore de l’histoire. C’est ce que j’essaie de faire avec chaque réalisateur, trouver les métaphores visuelles pour retranscrire les émotions de l’histoire. »

Ces conseils m’ont paru vraiment pertinents, et du coup, je me suis intéressé à ce que Ed Lachman avait pu dire par le passé sur son métier de Directeur de la Photographie.

« Avec la littérature, vous pouvez entrer dans le monde intérieur d’un personnage avec seulement un paragraphe. Vous pouvez dire ce qu’il pense. C’est plus difficile de montrer un lieu. Au cinéma, c’est tout le contraire. Vous pouvez montrer le lieu en un plan, mais c’est plus difficile de montrer ce qu’un personnage pense ou ressens. S’il y a bien un thème que je travaille avec les images, c’est comment entrer dans leur monde intérieur pour raconter l’histoire que le personnage est en train de vivre psychologiquement. »

« En tant que créateur d’images, vous êtes toujours en train d’explorer des idées, mais vous n’êtes pas sûr qu’elles vont marcher pour retranscrire ce que vous espérez. Les images en sont pas qu’une représentation, mais elles sont aussi la vision psychologique de comment vous racontez l’histoire. Pour les personnages, mais aussi pour l’audience.

« J’ai toujours regardé le cadre comme quelque chose d’indépendant de lui-même. Je compose toujours en fonction de l’espace dans le cadre. Je recherche ce qui, dans cette image, raconte l’histoire. J’aime les objectifs larges ou moyens car je considère que l’environnement dit quelque chose à propos du personnage dans le décor. »

« Une réalisateur comme Robert Altman tournait avec deux, trois ou quatre caméras. Et il s’en foutait si elles étaient dans le cadre l’une de l’autres, parce qu’il voulait que le public se sente impliqué. Cette idée lui est venue de la télévision – cette vision que la cinématographie doit être souple dans le but de permettre au public de ressentir ce qu’ils voient comme une prestation, un spectacle. C’est pour cela que je dit que le Chef Opérateur est un interprète, un artiste : il interagit avec l’histoire, le mouvement, la lumière… »

« J’essaie désespérément d’explorer chaque film avec son langage unique, à partir des éléments du scénario. La forme ne doit pas être plus importante que le contenu. Je fais beaucoup de recherche visuelle qui va illustrer mes idées de l’histoire. J’ai clairement un rapport intense avec la couleur. Cela vient probablement de mon expérience dans la peinture et l’histoire de l’art – La manipulation de la température, l’utilisation de sources de lumières différentes… Je ne suis pas intéressé par la couleur comme élément de décor, mais plutôt pour évoquer un état psychologique pour les personnages du film. L’autre outil que les directeurs photo utilisent est la composition au sein du cadre, qui est aussi quelque chose de très personnel. »

Pour aller plus loin, vous pouvez écouter l’intégralité de l’intervention d’Ed Lachman ci-desosus. Vous pouvez également consulter notre dossier consacré aux meilleurs Directeurs Photo de tous les temps.

 Vidéo de la Masterclass

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