En marge du Mobile Film Festival 2012 (voir le palmarès), nous avons eu l’opportunité de rencontrer et échanger avec Morgan Simon, lauréat de l’édition 2011 et étudiant à la FEMIS. Dans l’interview ci-dessous, il revient sur son année 2011 incroyable et son parcours de réalisateur.
Bonjour Morgan, peux-tu commencer par te présenter ?
Morgan Simon, 26 ans. J’ai grandi en région parisienne dans une banlieue pavillonnaire, pour ensuite débarquer dans un HLM de cité, pour aujourd’hui (sur)vivre dans une résidence étudiante à Porte de Clignancourt. D’aucun dirait que grandir est une descente aux Enfers, en fait c’est juste la réalité qui fait une descente dans ta vie. En parallèle, le chemin a été inverse. J’ai d’abord fait de la bio, puis de la com’, pour au final atterrir à La FEMIS en scénario.
Qu’est-ce qui te plait dans la réalisation ?
Je suis entré à La FEMIS pour écrire et pour inventer des histoires. J’y ai découvert quelque chose de tout aussi passionnant: le travail avec les acteurs. J’ai expérimenté le plan-séquence, c’est un temps dans lequel je me sens à l’aise, où j’ai l’impression que les acteurs et moi pouvons nous exprimer. J’ai enfin rapidement compris que si je voulais que mes scénarios soient tournés, il fallait que je les réalise. En France, on ne vous achète pas un scénario qui sera réalisé par un autre, parce que la politique des auteurs, ou des egos, n’admet de vrai réalisateur que s’il a écrit son film (ou coécrit). J’aime écrire, j’aime travailler avec les acteurs, j’aime l’image, donc je me suis dit que j’allais faire tout ça.
En 2011, tu as remporté le Mobile Film Festival, peux tu revenir sur cette expérience ?
J’ai réalisé Une longue tristesse dans mon coin sans penser une seconde gagner quoique ce soit, c’était juste une expérience avec deux acteurs. Élisabeth Chanay a finalement remporté le prix de la meilleure actrice, et nous avons aussi eu celui du meilleur film. Il y avait à la clé 15 000 euros pour faire un film avec une boite de prod, Easy Tiger.
Comment as-tu procédé pour écrire et tourner ce film, avec une contrainte de durée d’une minute ?
Une longue tristesse est mon troisième film d’une minute tourné avec un téléphone. Ces deux contraintes sont terriblement fortes mais c’est une aide précieuse ; c’est comme un exercice de style. Chaque mot, chaque plan, chaque ligne de dialogue doivent être justifiés, pas le temps de se regarder le nombril.
Avec mon premier, Blitz Krieg, j’ai appris à être concis. C’était une scène de drague assez cash dans un café. Le deuxième, What’s up bastard? cherchait à raconter dans ce format aussi court la vie d’un personnage, celle d’un rabatteur à Pigalle. Même si les plans étaient plus recherchés, plus « cinéma », je trouvais que ces deux films restaient au final quand même des sketchs.
J’ai essayé de dépasser ça avec Une longue tristesse en remettant en cause ma façon de travailler. J’ai voulu enlever tout l’ego qu’il peut y avoir derrière l’écriture et le fait de faire un film, et me suis effacé au maximum derrière les acteurs. Je n’ai pas écrit les dialogues, nous avions juste un canevas pour le scénario. Je me suis dit qu’on allait improviser tous les dialogues en répétition, puis les ajuster au tournage. Derrière ça, il y avait l’envie d’essayer de créer une émotion en une minute.
On peut au final facilement passer à côté de ce film car c’est un fil très mince, il ne tient à quasiment rien, seulement à ce que je n’ai pas enlevé. Une longue tristesse connaît une fin de parcours vraiment belle puisqu’il a été sélectionné pour passer avant les longs-métrages dans les cinémas MK2 pendant un an. Après je ne m’emballe pas, ce n’est qu’un film d’une minute tourné avec un portable, en tout cas c’est encourageant. J’ai surtout peur maintenant de tomber sur mon film au ciné!
Tu avais réalisé d’autres films avant, sont-ils visibles sur Internet ?
American Football est mon premier film où il y a une production derrière, où tout le monde est payé. J’ai auparavant réalisé une dizaine de courts-métrages, cela va des petits trucs amateurs en DV pas toujours regardables, à des films produits à La FEMIS ou autoproduits. 16 mm, super 8, téléphone portable, HD, il y a un peu de tout. J’ai une page Vimeo où certains sont réunis, mais je ne peux pas mettre les plus récents pour des questions de droits.
Revenons à ta victoire au Mobile Film Festival, qu’est-ce que cela a changé pour toi ?
Cela m’a permis de rencontrer des producteurs, d’emmagasiner beaucoup d’expérience. Tout a été en accéléré. Quelques regards étaient tournés vers moi, j’avais un an pour faire un film, et on a eu plus de 100 000 euros au final. J’avais tout ça sur les épaules mais je me suis dit que ce n’était pas important, la seule vraie pression c’est celle que je me suis mise. Peu importe ce qu’il y a autour, j’essaie de rester concentré sur ce que je veux faire, de garder le cap. Les bons producteurs vous aident à y parvenir. Sinon tu fais un film pour ou en fonction des autres, et je ne crois pas qu’on puisse faire pire.
Parle-nous de cette année folle que tu viens de vivre, qui a débouché sur la réalisation d’American Football ?
Avant l’édition 2011 du festival, j’avais commencé à écrire un film sur la scène rock alternative parisienne (post-hardcore, screamo, indie, etc.) que je fréquente depuis des années. Quand j’ai rencontré les producteurs d’Easy Tiger, je leur ai soumis la version 1 de ce scénario tout en leur disant que si jamais nous n’obtenions pas plus que les 15 000 euros gagnés grâce au festival, je pourrais écrire un film plus simple lié à Une longue tristesse. Mais ils ont accroché, le film leur donnait faim, moi aussi, alors on y est allés. S’en sont suivis plusieurs mois de réécriture pour arriver à ce que le film devait être. Le scénario a été envoyé en financements et étonnamment en moins de 6 mois nous avons obtenu le soutien de Canal+, du CNC, de la région Rhône-Alpes et de l’association Beaumarchais-SACD. Ça a vraiment été une situation exceptionnelle, ça ne se passe jamais comme ça normalement. Dire qu’à La FEMIS ils n’en ont pas voulu… Il s’est passé quelque chose sur ce film, est-ce la chance du débutant ? Nous avons tourné à Lyon pendant une dizaine de jours dans une super ambiance. Bref, je n’ai aucune excuse.
Quelles étaient tes intentions avec ce film, que voulais-tu raconter ?
American Football s’intéresse à une jeunesse contradictoire. Ultra tatouée et fan de musique dure, elle baigne encore dans l’enfance. Elle est à cheval entre le mainstream et l’underground, autant qu’entre l’adolescence et le monde adulte. Il y a une superficialité qui cache quelque chose de plus profond. Il y avait là matière à fiction. Le film raconte l’histoire d’une rencontre amoureuse dans ce milieu. Zack, 24 ans, tatoué de la tête aux pieds doit trouver du blé pour se faire tatouer le logo de son nouveau groupe. Il tombe sur une fille apparemment friquée, que va-t-il faire ? American Football c’était aussi une envie de marier le cinéma indépendant américain et le cinéma d’auteur français, de passer par les codes de la comédie indépendante US et des teen movies pour faire un film encore plus français que les autres, mais dans le bon sens du terme, juste et sincère.
Tous les acteurs de ce film sont-ils des amateurs ? Si oui, pourquoi ne pas avoir pris de comédiens professionnels ?
Il y a des acteurs professionnels et des amateurs. American Football est mon sixième film avec Nathan Willcocks, c’est un acteur qui a mille casquettes et qui s’est construit son propre parcours, atypique et intègre. Il était logique qu’il fasse partie de l’aventure ; il joue le rôle d’un tatoueur en fin de course… Pour le personnage principal qui devait être tatoué et capable de crier dans un micro, il était impensable de prendre un acteur, de lui mettre de faux tatouages, de faire du playback, ça aurait été forcément fake. Quand j’ai commencé à écrire le film, j’avais calqué le physique du héros sur Julien Krug du groupe Post Offense, je ne l’avais jamais rencontré. Un an après, il s’est présenté au casting de lui-même, il était étonnamment à l’aise et très sérieux. Quand je vous dis qu’il s’est passé quelque chose sur ce film… Le personnage féminin demandait une vraie énergie, même si au départ je voulais une fille de « la scène », il a été difficile de trouver une fille qui soit à l’aise et qui transmette cette énergie. J’ai rencontré Lilly-Fleur lors du casting, ça l’a fait. Les autres acteurs sont non professionnels car ils sont de cette scène. Plusieurs personnes ont trouvé que les acteurs étaient si justes qu’on aurait dit qu’ils n’étaient pas pros, alors qu’être juste c’est justement le boulot d’un acteur pro… Je l’ai pris comme un compliment en tout cas, la vie et les acteurs c’est le plus important dans un film pour moi.
Quels sont tes projets à venir ?
Il me reste quelques mois à tirer à La FEMIS, quelques mois pour finir mon scénario de fin d’études. Nous verrons s’il y a des gens intéressés.
Si tu devais donner un conseil à tous les réalisateurs amateurs, quel est selon toi le plus important pour réussir ?
Intégrité. Humilité. Sincérité. Personnalité. Sujet.
Peux-tu citer l’un de tes réalisateurs préférés et les raisons qui te font aimer son œuvre ?
Le plus grand c’est Kubrick. Il faut donc voir plus petit. J’aime beaucoup Harmony Korine, en tout cas ces deux premiers films, parce qu’ils vont loin. Alan Clarke pour son honnêteté et sa radicalité. Gus Van Sant pour l’amour qu’il porte à ses personnages. Il y a aussi Cassavetes et Pialat car ils ont choisi ce qui était le plus important pour eux: les acteurs. Enfin Jean Vigo, parce que j’y vois un esprit indépendant, facétieux, une poésie qui 80 ans après est toujours aussi contemporaine.