Notre chroniqueur Matthias a eu le plaisir de pouvoir rencontrer Rachel Lang autour de son film Baden Baden. Elle a répondu à nombreuses des questions ! Retrouvez cette interview dans son intégralité ci-dessous !
Quand vous réalisiez « Pour toi je ferai bataille », saviez-vous déjà que vous feriez une trilogie ?
Oui, tout à fait, c´était conçu comme un triptyque. Il y avait les trois volets, les trois axes qui étaient écrits dès le départ, et après l´écriture, la production et le financement se sont étalés de 2009 à 2015, mais les trois étaient pensés comme un triptyque.
Dans les films on voit les relations qu´Ana entretient avec sa grand-mère, sa mère, son meilleur ami, son ex, l´employé d´un magasin de bricolage. Avez-vous hésité à l´écriture à vous attarder plus sur l´une ou l´autre de ces relations ?
Alors le fil rouge c´était la grand-mère, avec cette reconstruction de salle de bain, et après j´avais envie qu´il y ait une galaxie de personnages qui gravitent autour d´Ana pour la montrer elle construite par ces personnages et qu´il y ait une multitude de personnages qui ne soient pas secondaires mais qui soient aussi principaux qu´elle. Du coup c´était l´objectif d´avoir beaucoup de personnages autour d´elle, pas de se focaliser sur un en particulier, mais que tous ces personnages la fassent devenir Homme avec un grand H et qu´ils la fassent grandir et devenir ce qu´elle est.
Pourquoi ce titre – « Baden Baden » – alors que la ville thermale n´est évoquée qu´une seule fois ?
Alors il y a la métaphore filée de la baignoire et des bains dans tout le film. Il y a aussi l´idée d´un endroit dans lequel on ne va jamais, donc c´est un peu l´idée d´une fausse piste et d´une fausse promesse qu´on donne dès le départ. On entre dans le film en pensant qu´on va à Baden Baden et on n´y va pas, et on sort du film en allant vers Aubagne et on ne sait pas non plus si on ira, mais c´est un peu la somme des possibles qui fait des chemins différents dans lesquels on ne va pas forcément.
Pour le tournage auquel Ana arrive en retard, vous êtes-vous inspirée de votre propre expérience ?
Oui, oui, le monde du cinéma ça peut être un peu extrême, ça peut être de grosses productions et des enjeux financiers qui sont tels qu´on ne peut pas se permettre de ne pas être hyper carré, parce que chaque minute vaut tant d´argent, donc effectivement j´ai bossé sur des tournages et, en l´occurrence, je me suis inspirée de ce que j´ai pu y observer.
Pour vous quel est le sujet premier du film ? La désorientation, la recherche de soi, la filiation ?
Oui, c´est tout à fait les sujets. C´est comment devenir libre, comment grandir, comment gagner en joie, comment devenir actif et arrêter de subir, arrêter d´être passif, c´est un peu tout ça, et le lien générationnel est aussi au centre, un lien qui permet la transmission et l´écoute silencieuse. Entre une grand-mère et une petite-fille il y a une génération de battement qui fait que l’enjeu générationnel n´est pas le même que des parents et des enfants, où les parents veulent que leurs enfants réussissent, soient heureux, etc. Ici c´est une relation plus légère, plus silencieuse et peut-être plus forte aussi.
Au niveau de la mise en scène, pourquoi avez-vous préféré des plans-séquences à des champs- contre-champs ?
Parce que moi ce qui m´intéresse c´est le temps et de trouver un rythme interne à chaque séquence qui soit organique et qui existe par lui-même, c´est-à-dire que ce qui m´intéresse c´est de chercher avec les comédiens le bon espacement de temps entre chaque réplique, le bon mouvement en vrai dans la vie pour qu´on ait comme ça des blocs qui soient des moments de vie pris comme ça et finis comme ça. C´est cette recherche-la qui m´intéresse plus que de créer au montage un rythme plus artificiel peut-être. Je préfère trouver sur le moment.
Avez-vous donné travaillé en étroite collaboration avec votre chef-op Fiona Braillon ? Lui avez-vous donné beaucoup d´indications ?
Avec Fiona on était ensemble à l´école et on a fait les deux courts-métrages précédents ensemble, donc a complètement découpé le film en amont et pensé avec cette idée de l´architecture aussi, qui est un des thèmes du film. On a vraiment conçu le film en amont en découpant dans tous les décors ensemble.
Qu´est-ce qui vous plaît chez votre actrice Salomé Richard ?
Ce qui me plait c´est qu´elle ne joue pas. C´est une comédienne qui ne montre jamais. Elle vit les choses, elle entend les directions et elle ne me le montre pas, c´est à moi de le voir, et ça c´est assez agréable. C´est assez rare les comédiennes de cet age-la qui acceptent qu´on aille voir plutôt que de montrer. C´est assez agréable de travailler avec elle, parce qu´elle n´est jamais dans la démonstration de quelque chose, elle fait de manière très simple, et presque paresseuse en fait en apparence, alors que ce n´est pas le cas, ce qu´on lui demande de vivre, et après moi je peux regarder ce qui m´intéresse là-dedans.
Qu´est-ce qui vous a poussé à engager Claude Gensac ?
A la base je voulais Bernadette Chirac, mais elle n´a pas voulu. Il y a très peu de comédiennes de cet age-là qui ne sont pas Alzheimer ou refaites, et elle fait partie de ces gens-là ; et c´est vrai que j´avais envie d´une grand-mère un peu terrienne, avec du caractère, avec une voix qui pète, qui fume des clopes et qui soit un peu punk, et Claude Gensac était totalement la grand-mère qu´il fallait. J´ai une directrice de casting qui s´appelle Kris Portier de Bellair, qui est la directrice de casting d´Haneke qui me l´a proposé, et voilà. Et puis aussi le coté populaire, en effet, comme elle est associée à De Funès.
Pourquoi avoir choisi le morceau « Si un jour » de La Femme qu´Ana chante à un moment dans sa voiture ?
La Femme c´est un groupe que j´aime bien. Il y avait déjà, dans un de mes courts-métrages, un de leurs morceaux – « Sur la planche » – et j´écoutais ce nouvel album au moment où j´écrivais le scénario et j´avais besoin pour cette séquence d´une musique un peu pêchue, qui lui donne la patate, qui lui donne envie d´appuyer sur le champignon et de faire un gros excès de vitesse, et ça a été cette chanson, avec le cote unisexe qui est aussi un des thèmes du film, parce que je voulais un personnage qui soit un individu avant d´être une fille un garçon, avant d´être le représentant d´un genre.
Pourquoi avoir choisi de tourner à Strasbourg ?
Il y a plusieurs raisons. Strasbourg c´est une capitale européenne, comme Bruxelles. C´est une ville frontière entre l´Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la France, la Suisse. La région Alsace m´avait soutenu pour mon précédent court, je savais qu´ils me soutiendraient pour la suite, donc j´ai écrit pour tourner en Alsace, et c´est vrai que c´est une région à laquelle je suis attachée, que je trouve belle et que j´avais envie de filmer.
Avez-vous supervisé le montage de près ?
Ah bah oui, ce n´est pas superviser, je ne suis pas chef d´entreprise. Bah oui, j´étais avec ma monteuse tous les jours en permanence. C´était une superbe rencontre, c´est une monteuse bourrée de qualités, on a vécu des trucs un peu vertigineux dans le montage, à se poser des questions sur un frame, deux frames, quand est-ce qu´on arrête le plan, quand est-ce qu´on commence.
Quelles sont vos sources d´inspiration principale, cinématographiques ou autres ?
Moi je ne viens pas trop du cinéma, alors je n´ai pas tellement de références cinéma. Mais il y a quand même Pialat, A nos amours ; Lucian Pintilie, un réalisateur roumain pas très connu qui a fait Le chêne et Terminus paradis et il y a Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) de Desplechin, il y a pas mal de trucs assez différents en cinéma. Mais ma référence c´est surtout Spinoza, « L´Ethique », le mouvement de passer d´un état à un autre, le rapport entre le corps et l´esprit, la relation aux gens, la relation au monde et l´idée de devenir actif pour gagner en joie, pour gagner en liberté et cesser de subir et d´avoir des idées inadéquates. Après il y a pleins de niveaux de lecture, ça c´était la base de ce avec quoi j´avais envie de construire le film. On s´en fout si personne ne comprend qu´il y a du Spinoza dedans, ça me va très bien.
Avez-vous des projets ?
J´ai un film en écriture sur la légion étrangère.
Ah oui, c´est un peu une suite de « Baden » alors…
Y a une passerelle à la fin de « Baden » qui conduit vers ça, mais comme c´est ça la fin d´un triptyque ça change de personnages.
Matthias Turcaud
Intéressant, merci !