The card : interview des créateurs du film

Collaborateurs sur le film The card, tourné à Vancouver au printemps 2012, Thierry Predhom et Valentin Schaaf, reviennent sur la genèse du film et sur leur expérience respective. S’ils se sont partagés la casquette de scénariste, Valentin était seul derrière la caméra tandis que Thierry jouait le rôle principal.

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Thierry : Bonjour, Thierry Predhom, 29 ans, je suis responsable de comptes pour une entreprise de logiciels informatiques. Je vis à Vancouver, où j’ai décidé de poser mes valises quelques temps, depuis 14 mois maintenant. Je suis arrivé ici grâce au PVT (Permis Vacances Travail) et maintenant, je suis en visa Jeune professionnel. A la recherche de découvertes, je suis venu ici par conseil d’un ami. Lorsque j’ai réalisé que cette ville était surnommée le « Hollywood Nord » (Tron, Twilight, Mission Impossible 4, Percy Jackson, X-men, etc… ont été réalisés ici), je me suis dit que si je souhaitais faire un film, rôle, ou mettre un pied dans le monde du cinéma, c’était l’endroit idéal pour le faire.

Valentin : Salut, Valentin, né à Vincennes. En sortant du brevet des collèges j’ai intégré la section cinéma audiovisuel au lycée Hector Berlioz où j’ai cumulé les options obligatoires et facultatives pendant 3 ans, soit près de 10h de cours de ciné et de tournage par semaine. Je suis tombé amoureux du cadre et de la lumière, de la façon dont mes profs, M. Yves Strauss et Mme Suzanne Denée, m’ont sensibilisé à la discipline. J’ai rencontré des gens passionnés avec qui j’ai travaillé aussi bien en tant que réalisateur ou chef opérateur sur différents tournages allant de l’amateurisme au professionnel (tournage de série tv pour France 2 en 2010).
Puis, à la sortie du BAC je me suis éloigné quelques temps de l’image animée pour me rapprocher des planches, milieu que je fréquente depuis l’âge de 5 ans. En classe préparatoire littéraire à Fénelon durant 2 ans (hypokhâgne et khâgne) j’ai fait la connaissance de gens passionnés de théâtre avec qui nous avons monté une association : la troupe des Compagnons Butineurs. Nous avons écrit, monté et interprété une pièce lors de notre 1ère année de collaboration, puis avons intégré la projection d’images dans notre seconde création, avant de nous intéresser de près au 7ème art. L’an passé, avec la troupe des compagnons butineurs, nous avons tourné un long métrage intitulé Dans mon Silence, dont la première est prévue pour l’été 2012 (réal: Marine Muller, Directeur de la photographie: Valentin Schaaf).
Enfin, pour la petite histoire, nous avons effectué un échange de maison avec une famille de Seattle durant un mois, il y a trois ans. Durant ce séjour, nous avons loué une voiture pour traverser la frontière canadienne durant un weekend. Je suis tombé amoureux de la ville de Vancouver, coup de foudre.
Alors je me suis fait une promesse, celle de revenir. Et me voilà, trois ans plus tard, de retour à Vancouver en tant qu’étudiant en échange à l’Université de British Columbia (UBC) dans le Film Production Program où j’ai pu faire connaissance avec des étudiants canadiens, mais aussi d’un peu partout dans le monde, aussi passionnés que moi et très investis. Cela m’a permis de conforter mes techniques et d’en appréhender de nouvelles.

Thierry, d’où t’es venue l’idée de The card ?

En fait, l’idée m’est venue grâce à un ensemble de facteurs : je lisais le livre Superconnect de Richard Koch, où il explique que le pouvoir social et le réseau sont plus importants que l’argent. Au même moment, j’allais dans un centre de sport, le YMCA, où je me rendais à la piscine et je me disais que tout y était gratuit une fois que l’on avait passé les portes. (Douches, savons, eau potable…etc.) et que, pour un SDF, ce serait l’endroit idéal pour se restructurer socialement, sans même avoir besoin d’argent. Ensuite, j’ai commencé à me demander: Qu’est-ce qui nous différencie réellement d’un SDF ? La réponse est simple: notre coté superficiel où l’on juge, en le voulant ou non, par le physique. Cela m’a rappelé un documentaire que j’avais vu des années auparavant sur les thermes de Caracalla où les gens les plus pauvres côtoyaient les sénateurs, et donc, où la nudité annule toute distinction sociale. Ce sont ses éléments de base qui m’ont permis de construire cette histoire.
Par la suite, comme je connaissais déjà Valentin, je lui en ai parlé afin d’avoir son point de vue. Immédiatement séduit, il s’est motivé à écrire avec moi le scénario et l’aventure a commencé…

Valentin, comment as-tu rejoint le projet, peux-tu nous en dire plus ?

Thierry avait une idée en tête pour un potentiel scénario. Il voulait absolument m’en parler. C’était début décembre 2011. Je lui ai proposé de venir me rejoindre à la fin d’une journée de tournage en extérieur sur lequel j’étais gaffer (chef électro). Je crois que c’était la première fois qu’il était amené à approcher d’aussi près un tournage. Il a particulièrement apprécié la dolly que j’aidais à ranger dans le camion lumières.
On s’est retirés du tournage pour aller s’asseoir dans un café. C’est là que l’écriture et la réalisation de l’idée de base de cette histoire ont commencé.

Vous avez co-écrit le scénario, comment s’est déroulée votre collaboration ?

Thierry : Extrêmement bien, et pour moi, très constructive et enrichissante. Le cinéma n’est pas mon monde, mais celui de Val et c’est pour cette raison que je m’étais adressé à lui. Ensuite, son enthousiasme, sa disponibilité et sa motivation m’ont énormément encouragé à aller de l’avant, et maintenant, le film terminé, cela me conforte encore plus dans l’idée que je me suis adressé à la bonne personne. Il s’est engagé à écrire, m’épauler, me diriger aussi (il faut être franc) pour l’écriture. Il a pris le temps de m’expliquer et pour moi, novice dans le secteur, ça n’a pas eu de prix. Je pense que Val aime avoir le contrôle sur tout, connaitre tout sur le bout des doigts et les moindres détails. Lorsque je vois le résultat final, effectivement, cela prend tout son sens.
Ce que j’ai aimé dans cette collaboration au moment de l’écriture, c’est que nous discutions énormément, et il m’écoutait beaucoup quant aux différents détails de l’histoire que je voulais raconter. Avec sa vision plus technique et plus professionnelle que la mienne, il savait comment re-canaliser l’histoire afin qu’elle soit possible à raconter, à réaliser avec les moyens réduits dont nous disposions. Il a réussi à raconter l’histoire que je voulais, sans en perdre l’essence même, et je pense que ceci se fait grâce au dialogue qui nous a lié.

Valentin : Notre collaboration a fonctionné par le dialogue, beaucoup de dialogue, de longues conversations sans écrire une ligne. Au début, je crois que Thierry a fait appel à moi pour évaluer le potentiel de son idée, et ensuite pour la mettre en forme. L’idée était bonne, très bonne, et Thierry était investi, très investi.
Au fur et à mesure du processus d’écriture, je sentais que le projet devenait mien, dans le sens où je m’investissais de plus en plus personnellement dans l’histoire. Je n’aidais plus simplement Thierry à mettre en forme son idée, je l’aidais à la créer, à la formuler et à la travailler pour en puiser l’essence même. C’est en cela que notre collaboration a fonctionné et je pense que cela se ressent énormément dans le film. La question que je me pose quand j’écris une histoire, ce n’est pas de savoir si « les gens » seraient intéressés, mais c’est plutôt si moi je souhaiterais en savoir plus. Si l’histoire ne me touche pas, ne me « parle » pas, c’est que je ne suis pas la bonne personne pour la raconter. C’est dans ce sens qu’il était important pour moi que la communication avec Thierry soit complète, afin que je comprenne parfaitement son point de vue sur l’histoire, sa vision. Même si je me plaçais de plus en plus en tant que réalisateur, il était important pour moi que la vision première de Thierry ne soit pas trahie.

Et votre collaboration sur le tournage, où chacun avait, cette fois-ci, un rôle bien différent (Thierry joue le rôle titre et Valentin réalise le film) comment ça s’est passé ?

Thierry : Une fois encore, il m’a énormément encouragé, épaulé, et également expliqué plein de détails, ainsi que le monde du cinéma. Régulièrement, je lui posais des questions sur l’éclairage ou la position de la caméra, choses qui ne sont pas du tout du rôle de l’acteur, mais il a réussi, même avec la pression et le chronomètre qui tourne, à m’expliquer rapidement sa vision et pour quelles raisons, par moment, ce n’était pas mon rôle d’acteur de songer à ceci. Je pense qu’il a une grande patience, et pour moi qui suis hyperactif, cela a aidé à tous les niveaux et toutes les étapes de notre collaboration.

Valentin : Après 3 mois d’écriture à 4 mains, je lui ai fait part de mon attachement au projet et de ma volonté de le réaliser, il m’a fait part de son désir d’interpréter le 1er rôle. Ce n’était pas quelque chose d’évident, loin de là. Thierry déborde d’énergie. Je devais l’aider à la canaliser, à s’en servir dans son jeu. Le scénario repose énormément sur l’interprétation du 1er rôle et Thierry n’avait aucune expérience en matière de jeu d’acteur ou de caméra. C était une grande première pour lui. Je ne lui ai jamais caché la vérité, si j’ai accepté qu’il interprète le 1er rôle, ce n’est pas parce qu’il le désirait, mais parce qu’au fur et à mesure de nos longues heures d’écriture, j’ai senti par son jeu de comparaison, sa vision de la situation, sa sensibilité et son identification au personnage qu’il en serait capable… encore fallait il lui apprendre les bases du rapport à la caméra.
A vous de juger le résultat sur le grand écran lors de la projection de The card dans les festivals à venir. De mon point de vue de réalisateur, ce que je peux dire c’est que Thierry est parvenu à se fondre dans la peau d’un personnage avec lequel il n’a aucun lien, qu’il a su lui apporter une touche d’humanité et de simplicité que beaucoup d’acteurs pro auraient faussé et que sa crédibilité dans ce rôle est toute à son honneur. Il a su incarner son idée. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Vous parlez des festivals, comment se passe cette deuxième vie, celle de la diffusion, pour The Card ?

Thierry : Nous tentons de l’inscrire à différents festivals, comme nous le pouvons, en fonction de la visibilité et des moyens à notre disposition. Pour le moment, il est inscrit seulement à un festival, à Lyon, et je suis en train de me renseigner du coté de Vancouver également. De mon coté, c’est une grande première de se voir à l’écran pour commencer, et puis ensuite de tenter de promouvoir notre histoire. Les gens apprécient sincèrement l’histoire, ce qui est déjà très gratifiant, et le court métrage a déjà eu de bons échos dans la presse locale. J’espère que la vision et la réalisation que Valentin a su apporter à ce projet séduiront autant les différents publics des festivals qu’elles m’ont séduit moi-même. C est l’épreuve du feu, et nous restons très confiant.

Valentin : C’est très simple. Pour pouvoir faire des films comme on le souhaite, ou presque, il faut de l’argent. Pour avoir de l’argent il faut se faire connaître. Pour se faire connaître il faut se faire voir, se montrer, s’exhiber, se promouvoir. Et pour cela, il faut être sélectionné à des festivals, et pas n’importe lesquels. Les festivals sont à prendre comme un tremplin pour la création de nouveaux projets. J’attends avec impatience de voir la réaction d’un public français face à un court métrage tourné en anglais à Vancouver par une équipe franco-canadienne.

Valentin, quels sont tes projets cinématographiques à venir ?

Comme je le disais, j’attends avec impatience de voir la tournure que va prendre The card.
D’un autre côté, je suis aussi emballé par l’idée de donner à cette histoire l’ampleur et le temps qu’elle mérite, c’est à dire au moins 90 minutes à l’écran. Le scénario a largement le potentiel pour s’amplifier et se développer.
D’un autre côté, j’attends avec impatience la première du long métrage tourné l’été dernier en France, Dans mon silence, où j’ai soigné la photographie. C’est mon premier long métrage en tant que directeur photo, et étant au Canada durant la post prod, je suis pressé de voir le résultat.
Enfin, faisant partie de l’association des Compagnons Butineurs, un projet à venir se profile autour de la réminiscence de la guerre d’Algérie racontée du point de vue d’un ancien pied noir. Projet à suivre…

Thierry, toi qui ne connaissais pas le monde du cinéma, comptes-tu renouveler l’expérience ? Si oui, à quel poste, si non, pourquoi ?

The card fut pour moi une excellente expérience et continue à l’être encore. Le projet ne s’arrête pas là. Dans l’idéal, nous souhaitons peaufiner le scénario afin de pouvoir en faire un long métrage, donc, ce n’est que le début d’une nouvelle étape. D’un autre coté, différents projets se profilent à l’horizon, se feront-ils? Ceci est en « pourparlers ». Je pense que l’écriture (toujours encadrée par quelqu’un de plus professionnel que moi) m’intrigue encore, je pense avoir encore énormément de choses à raconter…et surtout à apprendre pour les mettre en forme. Le cote comédien m’a également beaucoup plu, et je souhaiterais de tout cœur renouveler l’expérience afin d’en apprendre encore plus, tant sur le métier en lui-même que sur moi-même, et puis un jour, pourquoi pas, la réalisation m’intéresserait grandement…mais là on parle d’une nouvelle étape de vie, encore une fois !

Enfin, seriez-vous tous les deux partants pour une nouvelle collaboration commune ?

Thierry : Notre collaboration ne s’arrête pas encore là. Comme je le mentionnais précédemment, nous souhaitons en faire si possible un long-métrage, et donc un gros travail d’écriture est déjà en perspective. Je pense que Valentin a autant d’éléments à apporter à cette nouvelle version de l’histoire que moi, donc ce sera passionnant de continuer ceci ! Et faire un autre projet ensemble? Personnellement, plutôt deux fois qu’une ! Je sais comment il fonctionne, il sait comment je fonctionne, et ceci est un gain énorme en temps et en énergie, je pense. On ne change pas une équipe qui gagne, n’est ce pas?

Valentin : En fait, on pourrait dire que c’est un début. C’est une première collaboration qui, je le pense également, a formidablement fonctionné et a abouti à cette création filmique qui, je le crois, a sa chance. Ce court métrage n’était pas une fin en soi, c’est un moyen de mettre toutes les chances de notre côté pour un long métrage.
La seconde collaboration va consister tout d’abord à promouvoir The card en tant que court métrage afin de sensibiliser un public dans la mesure de nous aider à produire un long métrage d’une histoire similaire mais plus développée, nuancée et porteuse de l’essence du film qui est que l’argent n’est pas ce qui permet de se frayer un chemin dans la société actuelle, mais bien plus les relations et liens sociaux que l’on tisse. Enfin, dans un même temps, il va nous falloir nous repencher sur le papier et retourner à l’écriture qui devra se faire à distance cette fois-ci. Et même si les technologies actuelles sont d’une grande aide, cela reste tout de même une épreuve différente. Notre collaboration évolue aussi bien que le film tente de grandir.

The card, tourné à Vancouver, c’est 12:30 minutes d’une histoire sur les relations sociales qui en mériteraient 90 minutes. C’est 55 personnes (cast et crew) qui ont mis leur talent à l’effort pour ce film durant 5 mois, de la pré-production à la post prod, sans oublier le tournage.

Merci à tous et à chacun.

Visionnez The Card

Retrouvez le court-métrage dans son entièreté ci-dessous:

From gonewestprod on Vimeo.

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Christopher Guyon

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