Durant le dernier Festival du film Américain de Deauville qui s’est déroulé du 5 au 14 septembre, nous avons eu la chance de participer à une masterclass du grand John McTiernan. Réalisateur célèbre des grands films d’actions des années 80-90, on lui doit notamment Predactor, Octobre Rouge, Last Action Hero, mais aussi et surtout les brillants Die Hard 1 et 3 (Piège de Cristal et Une Journée en Enfer).
Suite à de sombres histoires d’écoutes téléphoniques, John McTiernan enchaîne les démêlés judiciaires depuis 2006, ce qui lui a valu notamment une année de prison ferme en 2012. Comme il le dit lui même, il a la sensation de “revenir parmi les vivants après 10 ans”.
La masterclass débute par la magistrale scène d’introduction du film A la poursuite d’Octobre Rouge
Juste après Piège de Cristal, vous êtes leader des films d’action avec James Cameron. Cette scène d’ouverture va coûter une fortune, et n’aurait pu-être réalisée sans la confiance que vous aviez avec Franck Mancuso.
Cette introduction a effectivement coûtée une fortune, car à l’époque nous n’avions pas la technologie suffisante pour réaliser cette scène en image de synthèses. Or, il fallait croire à l’existence du sous-marin, et donc réussir à convaincre les producteurs de fabriquer un tel monstre d’acier et de l’inclure dans un plan titanesque comme celui-là. Il était question de toute la crédibilité du film ! On estime la scène à un demi million de dollars, et tout a été tourné à l’hélicoptère.
Cette scène comporte peu de dialogues, mais plutôt un montée en puissance narrative introduite avec le mouvement de caméra (on effectue un grand zoom des yeux de Sean Connery pour arriver au plan large sur le sous-marin). Cette construction est finalement très nouvelle, avec peu d’écriture.
Il n’y a pas de réel calcul à l’avance, pas d’idée générale du cinéma. Je voulais cet enchaînement d’images, peu de dialogues, juste une accroche sur le temps qui est le temps passé. C’est d’ailleurs la phrase que prononce Sean Connery : “Time indeed” (“Il est temps”).
On retrouve cette construction au sein de Predator, qui est un vrai hommage aux films de jungle, revisitant la guerre du Viet-Nam. Durant toute une scène, on suit le Predator et Arnold Schwarzenegger dans un jeu de regards, d’estimation d’intelligence entre les deux personnages. Cette scène montre d’ailleurs comment le cinéma d’action ne suit pas uniquement une logique des corps, mais aussi des têtes pensantes.
Ce morceau est effectivement étonnant car nous avons eu un problème avec l’apparition du monstre à la moitié du tournage. Se posait non seulement la question de l’apparition à l’image du monstre, mais aussi de la durée de son apparition. Il y avait de nombreuses possibilités parfois très farfelues, comme aller trouver le monstre dans le vaisseau spatial… Mais nous n’étions pas convaincu par cela, et qui plus est, nous avions une contrainte de temps avec Arnold Schwarzenegger qui ne pouvait plus rester qu’une seule journée. Nous avons du donc trouver une idée réalisable en une nuit et une journée de tournage effréné (pour information, là où l’on tourne 1 plan par heure la nuit en temps normal, nous en avons fait 18 ou 19 en moyenne ce jour là !). Sur le moment, cela nous semblait plus une sorte d’échappatoire, qu’une vraie bonne solution. Mais au visionnage, nous avons trouvé finalement une vrai cohérence cinématographique. Et finalement, on se dit que ce n’était pas un hasard de réaliser cette scène de cette manière, mais une vision particulière du cinéma où les mots ont finalement peu d’intérêt.
Ce qui est drôle, c’est que quand j’étais étudiant en cinéma, j’ai rêvé de cette fin. Dans mon rêve, j’étais un jeune scientifique lors du 1er test de la bombe atomique. Tous les scientifiques étaient là, et la bombe était en haut de la tour prête à exploser. Sauf que rien ne se passe, et on descend alors la bombe et on m’envoie voir ce qui se passe. Je l’ouvre, puis entend subitement un petit clic. Là, tout le monde m’observe (hors champs) et Hoppenheimer me dit : “Maintenant John, tu sais courir”. Je cours alors comme un dératé, saute au-dessus d’une paroi, et tout explose derrière moi. Fondu au blanc, sur un mur avec un papier peint avec une coupure de journal. On zoom sur la coupure où l’on voit ma nécrologie indiquant que je suis mort en 1978, laissant femme & enfants. Les radiations avaient eu ma peau.
Ce qui est amusant avec Predator, c’est que l’on démarre sur un classique de film de guerre avec l’avancée des Marines dans la jungle avant d’avoir une 2nde moitié plus onirique après la chute d’Arnold Schwarzenegger dans la cascade. Finalement, cette seconde moitié est presque au niveau du rêve.
C’est un très grand compliment que vous me faites ! Effectivement, le rêve est surtout une succession d’image avec une intensité sémantique et sensorielle énorme. Il y a dans un rêve tellement de sens dans chaque image que l’on se passe de description et de mots. Je pense que le cinéma devrait être du même ordre, une expérience sensorielle. Ecoutez par exemple la musique de Beethoven. Elle est hyper sensorielle puissante, et ne demande pas de mots non plus. Finalement, j’aspire à un cinéma qui serait aussi libre de l’écrit ou que la musique.
En plus d’être réalisateur, vous êtes aussi un ingénieur toujours à la recherche d’une nouvelle manière de tourner, une nouvelle lentille pour pour réinventer le langage cinématographique. Sur ce point, vous êtes d’ailleurs très proche de James Cameron. Pour votre prochain film, vous travaillez depuis maintenant 3 ans sur 2 caméras très spécifiques et d’ailleurs, vous cherchiez à concevoir une caméra 3D bien avant sa généralisation. Le travail demandé ici très rigoureux et précis. Finalement, chez vous, est-ce-que cet onirisme passe aussi par l’ingénierie ?
En effet, j’ai commencé par des études de théâtre, pourquoi ? Je ne le sais pas moi même. Mais ce que je sais, c’est que c’est ce côté ingéniérie, le côté scientifique rigoureux que demande le cinéma afin de donner de l’onirisme.
Sur ce qui est de la 3D, on part du principe que tout art visuel part d’un postulat erroné. Erroné, mais accepté par tous, ceux qui concoivent les images comme ceux qui les reçoivent. Ce postulat n’est finalement d’ailleurs pas si éloigné de l’art pictural du XIVe siècle où l’on décidait que les personnages qui était en haut dans la composition étaient éloignés, et ceux d’en bas proche. Avec le cinéma, le postulat est certes différent, mais on accepte de la même manière de se projeter dans un support unidimentionnel qui est celui du film ou du papier. Notre oeil étant sphérique, on accepte donc de lire la perception “sphérique” dans ce rendu plat.
Ce qui est amusant, c’est qu’au cinéma, avec une longue focale, on obtiens une profondeur de champ courte, alors qu’avec une courte focale, on arrive plus vite à un plan large. Finalement, la longue focale nous concentre sur les détails, la courte sur la largeur et l’ampleur du cadre. Or l’oeil humain n’a pas cette distorsion, il voit les deux. De fait, les films ne sont pas et ne peuvent pas être réalistes. Le choix du réalisateur est permenent : La largeur ou la profondeur ? On peut jouer en filmant avec plusieurs caméras et en combinant les différentes prises de vues, ainsi on peut arriver à reproduire l’instantanéité entre la profondeur de champ et la largeur de la vue.
Mais on remarque en ce moment qu’une révolution est en court qui nous permettra de montrer un mouvement plus rapide. Cette rapidité le rendra alors plus réalisate, et on se demandera comment on trouvait ça réaliste avant !
Passons maintenant à Piège de cristal (Die Hard). Ce film est un exemple dans la manière de filmer l’action, le mouvement dans l’espace. La lisibilité de l’espace est parfaite, et l’on exploite toutes les parties de la tour. Comment fait-on pour filmer le mouvement de cette manière ?
Il faut savoir qu’à l’époque de Piège de Cristal, le public était prêt à recevoir cela, mais les studios non. Les studios refusent que l’on fasse un cut entre deux scènes en mouvement. Pour eux, il faut s’arrêter sur un plan fixe et reprendre le mouvement sur le plan suivant.Sauf que Bertolucci l’avait fait dans La Luna, c’est donc possible. Le jeu était de trouver un monteur qui avait cette même envie. J’ai trouvé justement un fils de musicien et qui avait cette même envie. Il a réussi à trouver de justesse la bonne méthode, la bonne rythmique afin de pouvoir faire les raccords. Il faut avoir une approche très souple pour faire ce type de montage, et le travail avec Jean de Bont à la photographie a été essentiel aussi pour arriver à ce résultat.Car le film, la photo et la musique ont la même logique de justesse. La musique laisse plus de place à l’erreur, à l’expérimentation. En un sens, elle est beaucoup plus tolérante que le film. Il y a énormement de feeling, si tu as l’impression que c’est bien, tu dois y aller. Le cinéma devrait suivre la même logique, se détacher de l’écrit et avancer plus autour de la musique. Quitte à aller à l’encontre des règles initiales, n’oublions pas que c’est un art jeune qui se cherche encore. Aidons le à sortir de la logique de l’écrit pour aller dans celui de la musique.
Dans Die Hard, l’espace est au coeur de tout. Est-ce la clé du cinéma d’action de synthétiser un espace ? Mettre le spectateur au coeur de l’espace ?
Dans le cas de Die Hard, ça vient de l’histoire que le film raconte. Le but est que le spectateur adhère au point de vue du personnage. On lui fait donc découvrir l’espace où est le personnage avant d’évoluer avec lui. Dans une logique inverse, prenez Tony Scott qui est plutôt axé sur un travail avec des focales longues. Pour lui, le plan doit informer, et finalement le lieu où est le personnage a moins d’importance. Avec cette méthode, on échappe à la difficulté du montage. C’est une autre approche du cinéma.
Pour moi, toutes les théories sur comment filmer, où on met la caméra etc… n’a pas de sens. La seule question à se poser est : où serait positionné le spectateur ? Ainsi, on ne se prend pas la tête et on offre une vraie sensation. Je n’invente rien ici, c’est clairement ce qu’il y a de plus simple. Prenez la Brûlure de Mike Nichols. Le moment où Jack Nicholson et Meryl Streep rompent, il n’y a pas de déplacement. Il la quitte hors champs, on ne voit qu’elle, seule dans la cuisine. Et on reste avec elle. On est à la porte et on vit ce moment avec elle. La puissance est ici, pas dans des montages sophistiqués.
Passons à Une Journée en Enfer (Die Hard 3) : On retrouve toujours cette logique de l’espace, tout en cassant les règles posées dans le premier volet.
C’est la manière la plus simple de concevoir le cinéma. On tente d’avoir le langage le moins stylisé possible, finalement un peu comme dans les années 50. L’idée, c’est de faire un va et vient cinématographique entre Bruce willis et les méchants. Quand on est avec Bruce Willis, les plans sont larges, longs. On reste en attente, on vit le fait qu’ils sont dans la merde. A l’inverse, avec les méchants, tout est préçis, plus péchu, plus monté. On change de style en fonction de quel côté de l’intrigue on est positionné.
L’exemple parfait est l’opposition entre le chaos de la rue et bonne organisation des terroristes durant le casse de la FED.
Effectivement, pendant 5 à 7 minutes, il y a 0 dialogue. On sait que quelque chose va se passer, mais on ne sait pas quoi, toujours avec ces styles différents selon qu’on est avec Bruce Willis ou avec les terroristes.
Dites-nous en plus sur cette scène extraite du film L’affaire Thomas Crown.
J’aime le côté nerveux de cette scène. C’est le film qui me rends le plus heureux de toute ma filmographie. Franck Mancuso m’a laissé le faire comme je le sentais, en particulier pour la scène avec les chapeaux. A la base, le scénario assez classique, mais j’ai voulu le faire à ma manière sur le montage et réalisation. On y ajoute une accroche de plus sur l’histoire d’amour entre les personnages : il ne vole pas le tableau qu’il voulait, mais celui qu’elle voulait. Ainsi, la scène se termine par l’ignorance de comment a été fait le cambriolage. On joue aec le spectateur avec les chapeaux melons, et au final, on ne sait pas comment il a fait, aussi bien pour les protagonistes du film que pour le spectateur.
Que pensez-vous des autres Die Hard ? Avez-vous gardé de bonnes relations avec Bruce Willis ?
J’ai gardé de très bonnes relations avec Bruce Willis, et si je veux les garder, je vais m’abstenir de dire ce que je pense des autres Die Hard !
Super blog avec une qualité d’écriture irréprochable