L’expressionnisme allemand au cinéma

cabinet du dr caligari scène du film expressionniste

L’histoire de ce mouvement

Qu’est-ce que l’expressionnisme ?

C’est un mouvement artistique, né en Allemagne, où l’irréalisme est poussé à l’excès, souvent pour faire peur. La réalité est déformée à travers divers techniques et le but ultime est de faire ressentir de fortes émotions au spectateur. On l’associe généralement à des thèmes comme l’angoisse, la folie ou la peur, les artistes de l’époque étant assez pessimistes à la fin de la première Guerre Mondiale.

Les origines du mouvement

Il provient initialement de la peinture, au début du XXème siècle. A cette époque, on ne jure que par le réalisme mais la guerre changeant les mentalités, on s’aperçoit que peindre la réalité ne détient aucune profondeur. Ainsi naît l’expressionnisme où les peintres sont alors libres, peuvent exprimer leurs sentiments aux travers de la toile sans aucunes règles à suivre. Les lignes sont déformées, les couleurs étranges, et surtout l’on accentue grandement la représentation symbolique du sentiment que le peintre veut transmettre. L’art devient alors subjectif car l’on fait face à la vision de l’artiste.

Le marchand d’allumettes d’Otto Dix (1921)

Très vite, l’expressionnisme se développe à tous les arts : théâtre, architecture, littérature, musique… et bien sûr : cinéma !
Lors des années 20, Hollywood connait un succès inégalable qui ne laisse plus trop sa chance au cinéma européen. Avec leurs importantes productions et leurs shows internationaux, l’Allemagne cherche à se démarquer avec un style totalement différent. Au diable les grands films romanesques, place aux petits budgets, aux œuvres symboliques et uniques ! Inspiré du film noir et du film d’horreur, le courant trouve vite sa place dans cette époque d’après-guerre où exprimer ses tourments est nécessaire. Les premiers films muets qui portent ce mouvement sont Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene et Le Golem de Paul Wegener, en 1920. Ils sont d’ailleurs libres, voici où les regarder:

Ce qui caractérise un film expressionniste

Pour faire un bon film expressionniste, il faut déjà savoir qu’il est associé aux films fantastiques et d’horreur, ses deux genres fards. D’autres éléments sont caractéristiques du cinéma expressionniste, voici lesquels.

Le décor

En effet, si la volonté est bien de dénoter avec le réel, le rôle du décor est crucial. Tourner dans des lieux du quotidien ou sur de belles places n’est plus d’actualité. Les cinéastes cherchent à rendre leur environnement le plus faux possible. Avec leurs budgets simples, on ne se préoccupe plus trop de l’arrière-plan qui devient volontairement artificiel, arborant des lignes, courbes et couleurs (quand il y en a) sans queue ni tête. C’est un élément qui participe majoritairement à l’instauration d’une ambiance étrange, laquelle est au centre des films de l’époque.

Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920)

On pourrait penser que, de nos jours, un tel irréalisme perdrait le spectateur ou nous ferait croire que l’on se trouve dans un rêve. Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, Tim Burton nous offrait des films comme Beetljuice (1988) ou Sleepy Hollow (1999) qui s’inspiraient totalement de ce mouvement.

La lumière

Si les lignes tordues vous dérangeaient, attendez de voir comment l’éclairage est utilisé. Lui aussi le plus artificiel possible, les réalisateurs ne jurent que par le clair-obscur. La lumière permet elle aussi d’approfondir l’ambiance spéciale du film. Elle est très blanche, crue, provenant parfois de on ne sait trop où, d’une fenêtre, d’un faisceau de lampe, de la lune… Les reflets sont multipliés, on aperçoit parfois des traînées brillantes, des objets qui scintillent et des contrastes poussés. Elle participe grandement à rendre les personnages encore plus effrayants et inhumains.

Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920)

Le côté sombre

S’il y a lumières, il y a aussi ombres. Ces dernières sont très présentes, notamment pour agrandir les traits d’un personnage lorsqu’elles glissent sur les murs. Cela permet de nous laisser nous imaginer l’étendue monstrueuse et malsaine de la créature à l’écran. Ainsi, plutôt que de nous servir des scènes violentes et terrifiantes, la suggestion par l’image symbolique est un moyen de toucher un plus grand public.

Rien de bien étonnant, à la veille de la première guerre mondiale, le pessimisme national et les horreurs des combats marquent les esprits. Les thèmes s’imposent alors d’eux-mêmes : la folie, la trahison, la monstruosité… L’irréalisme exacerbé permet tout de même de rendre acceptable ces thématiques dures, les rendant assez fausses pour qu’on les perçoive comme un divertissement. C’est le brouillard quasi-constant qui donne des allures de mauvais rêves embrumés à ce genre de films.

Nosferatu le vampire – Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

Les personnages

Si vous ne l’aviez toujours pas compris, les personnages ont en effet une particularité importante. Avec un maquillage très poussé, on les fait passer pour des créatures presque non organiques, des sortes de zombies, des monstres, bref, on est bien loin de l’humain lambda. Ces êtres irréels incarnent des émotions en adéquation avec le style du film : ils sont effrayants, fous, sombres et inquiétants. Outre le maquillage, leurs costumes sont évidemment à leur image, à savoir noirs et étranges.

Le Golem de Paul Wegener (1920)

Les oeuvres expressionnistes au fil du temps

Nombreux sont ceux qui se sont essayés à l’expressionnisme. Bien que l’on ne retrouve plus que rarement ce mouvement dans les films de aujourd’hui, certaines œuvres ont marqué les esprits pour devenir de grands classiques. Voici une petite rétrospective de l’évolution de ce courant au cours du temps.

Nosferatu le vampire – Friedrich Wilhelm Murnau : 1922

Le mouvement en est à ses prémices quand l’allemand Friedrich Wilhelm Murnau, pionnier du film d’horreur, décide de réaliser un film de vampire basé sur le roman Dracula (1897). Ce film d’épouvante muet en noir et blanc respecte tous les codes de l’expressionnisme allemand. Comme on peut le constater, le personnage principal est une créature fantastique, inquiétante et vivant dans un univers sombre où les lumières jouent un rôle fort.
Le film est libre de droit, vous pouvez le visionner ici :

Frankenstein – James Whale : 1931

Le réalisateur britannique James Whale décide lui aussi d’adapter au cinéma un fameux roman : Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818). Le travail réalisé par Jack Pierce pour le maquillage du monstre est ce qui donne toute son essence au film. Considéré comme un film d’horreur emblématique, les situations angoissantes ressortent d’autant plus que le contraste ombre-lumière amplifient la monstruosité du personnage. La folie du scientifique rappelle également les thématiques chères au mouvement.

La nuit du chasseur – Charles Laughton : 1955

Voilà un film réalisé par un autre britannique, naturalisé américain au moment de la sortie du film. Là encore, l’inspiration provient du livre du même nom sorti en 1953. Cette fois, pas de maquillages ou de créatures fantastiques mais un tueur déterminé que l’on peut considérer comme un monstre. Ce thriller dramatique joue parfaitement avec les codes du mouvement comme le prouve la scène ci-dessus (cf : vidéo). Un cri à glacer le sang, un ciel aux étoiles aussi fausses que le décor qui arbore une grenouille irréaliste et une toile d’araignée grossière. Outre les reflets scintillants de la lune sur l’eau, la douce chanson de la fillette et la musique nous plonge dans cette scène comme dans un rêve.

Docteur Folamour – Stanley Kubrick : 1964

Avec le temps, il est plus difficile de montrer en une seule image qu’un film appartient bien à l’expressionnisme allemand. C’est le célèbre Kubrick qui s’y atèle et permet de renouveler un peu le genre. Pas de thriller ou d’horreur, c’est une comédie militaire satirique qu’il met en scène. Tout débute avec un militaire fou qui envoie des bombardiers en URSS sur un coup de paranoïa. L’ambiance reste tout de même un peu inquiétante, les hauts dirigeants américains devant trouver une solution pour éviter un massacre et une nouvelle guerre. On voit des personnages qui restent étranges d’autant plus que trois d’entre eux sont joués par le même acteur, rajoutant un fort irréalisme au film. Les jeux de lumières/ombres sont important pour ce réalisateur à l’esthétique reconnue.

Elephant man – David Lynch : 1980

Dans Elephant man, pas d’irréalisme puisque l’histoire s’inspire des mémoires du docteur s’occupant de John Merrick, un homme souffrant d’une grave difformité. Le film est volontairement filmé en noir et blanc pour rappeler les films expressionnistes et nous replonger en 1884. Si l’apparence « monstrueuse » de John peut paraître effrayante (grâce au travail du maquilleur), le sentiment que Lynch veut nous communiquer n’est pas la peur mais la pitié ou un profond sentiment d’injustice et de cruauté. C’est donc une histoire plutôt sombre, tragique même. Lynch maîtrise les jeux d’ombres et de lumières et nous sert du brouillard et de la fumée dans les rues de Londres pour une ambiance encore plus étrange.

Dracula Francis Ford Coppola : 1992

Outre le thème vampirique propre à l’expressionnisme allemand, Dracula est un film où la lumière est très importante. Déjà, on connait le rôle majeur du soleil dans les films de vampire mais ici on retrouve des objets scintillants et des ombres qui prennent vie (cf : photo). Le comte Dracula a tout du personnage atypique des films expressionnistes entre sa coiffe démesurée, son costume haut en couleur et son visage si blanc qu’on ne peut l’imaginer vivre vraiment. Beaucoup de brouillard est visible dans l’oeuvre.

The lighthouse –  Robert Eggers : 2019

Pour finir, l’an dernier est sorti un énième film classifié « horreur » en noir et blanc pour, là encore, nous plonger dans le XIXè siècle. The lighthouse reprend les codes du cinéma expressionniste avec une forte utilisation de la brume, une ambiance sombre et des personnages mystérieux (ici humains mais guettés par la folie). Les références culturelles au mouvement sont d’ailleurs nombreuses et l’on retrouve un côté fantastique avec les visions qui les asseyent comme celles de sirènes près du phare que les deux hommes gardent. Les jeux de lumière, la pression psychologique, les musiques angoissantes et les scènes dérangeantes sont autant d’éléments qui permet d’étiqueter ce film comme expressionniste.
Il fait d’ailleurs partie des meilleurs films 2019 selon le site Oblikon.

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Victoire

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