Festival de cinéma américain de Deauville, 2004Charlie Kaufman,
scénariste excentrique et génial de films comme Dans la peau de John Malkovitch ou Adaptation était de passage au festival de cinéma américain de Deauville en 2004 à l’occasion de la projection du film Eternal Sunshine of the spotless mind. L’occasion pour lui de revenir sur ce film, ses précédents et son métier de scénariste.
Le titre du film The Eternal sunshine of the spotless mind est vraiment beau, mais pour la traduction dans les autres langues, c’est très difficile. Est-ce que cela vous gène ?
CK : Alors en fait, ce titre, rassurez vous, est tout aussi difficile pour les anglophones mais en fait les distributeurs des différents pays qui distribuent le film, parfois ont choisi de totalement changer le titre. Je pense d’ailleurs que l’Italie à la palme du plus drôle et du pire en fait. En gros c’est : « Efface moi et je te quitte ». Je pense qu’ils ont été inspirés par le dernier film des frères Coen Intolérable cruauté qui n’a pas bien marché aux Etats-Unis mais qui a très bien marché en Italie et le titre italien du film des frères Coen était : « Divorce moi et je te tue ». Donc j’imagine que c’est un précèdent qui les a inspiré pour que le film marche.
L’une des premières moutures du scénario semblait être très différente puisqu’elle se terminait par une projection dans l’avenir, 50 ans plus tard environ où l’on voyait une scène où Clémentine apparaissait vieillie, il y a aussi un arbre de noël. Alors pourquoi ces coupes ont-elles été faites ? Et pourquoi cette décision finale de garder le film bien davantage centré sur le présent ?
CK : Alors en fait, oui effectivement, à l’origine dans le livre la fin était 50 ans en avant mais ce n’est pas Clémentine, c’est en fait Marie qui revient et qui essaie de publier un livre qui s’intitule Eternal sunshine of the spotless mind car ce qu’elle veut en réalité avant de mourir, c’est finalement faire perdurer la mémoire de tous ces êtres qui se sont fait effacer la leur et elle décide donc de faire publier ce livre mais malheureusement personne n’en veut et elle meurt dans le métro avant que le livre soit publié. Par contre pour en revenir à Clémentine et bien effectivement je voulais une scène où Joël et Clémentine ont 50 ans de plus et on s’aperçoit que cela fait des années qu’ils s’aiment, qu’ils s’effacent, qu’ils se ré aiment, qu’ils se ré effacent et on en est à la dernière expérience de Clémentine qui pour une dernière fois est en train de se faire effacer la mémoire de Joël qui à ce moment l’appelle mais il ignore qu’elle est en train de se faire ce processus et les techniciens qui entendent le message sur la machine l’effacent et en fait cette scène n’existe plus parce que personne sauf moi n’en voulait de cette scène et je crois qu’en réalité c’est juste. Finalement, c’est un bien pour le film car je préfère que l’on n’ait pas de réponses, j’aime que l’on reste sur des questions, et que le public se demande : Est ce que finalement c’est bien ou pas qu’ils revivent encore une fois cette histoire ensemble? J’aime ces sortes de fins qui n’en sont pas et Michel (Gondry) me reproche toujours d’avoir trop de fins dans mes scénarios. C’est éprouvant car je ne sais pas trop ce que j’écris quand je l’écris mais en tout cas c’est pour ça que cette fin n’existe plus telle que vous m’en parliez.
Comment le film a-t-il été accueilli par les critiques aux Etats-Unis ?
CK : Il a reçu un très bel accueil, ainsi qu’en Angleterre, en Scandinavie, en Russie, même si évidemment il y a des gens qui ne l’aiment pas mais c’est surtout un très bon accueil critique, un peu moins commercial comme vous le savez. Mais je dois dire que ce film, commercialement parlant, fait mieux que mes précédents.
Il y eu longtemps un mystère autour de Charlie Kaufman, votre identité. Je voulais savoir si ce mystère avait été entretenu par les médias, ou par votre entourage et est ce que ça vous avait amusé.
CK : Vous voyez, je n’ai rien de mystérieux, c’est un mystère d’ailleurs pour moi : Pourquoi suis je devenu un personnage si mystérieux? Je fais de la presse pour mes films. J’en ai fait pour Dans la peau de John Malkovich, j’en ai fait pour Adaptation et je ne sais pas pourquoi on a l’air de trouver ça mieux que je sois cette espèce de reclus dont on se demande s’il existe vraiment et bien je suis navré de vous l’annoncer j’existe vraiment et je suis là d’ailleurs devant vous aujourd’hui sans aucun autre mystère.
Vous reposez vous ? Etes vous en train d’écrire d’autres scénarios pour d’autres films ?
CK : Je ne me repose pas beaucoup, que j’écrive ou pas d’ailleurs. Ça n’est pas vraiment lié à l’écriture. Je pense que c’est mon corps qui est ainsi fait, mon alchimie personnelle. Je suis actuellement sur plusieurs projets dont normalement le prochain film de Spike Jonze, sur lequel je ne dirais rien.
Un jour, aimeriez vous travailler avec un réalisateur français ?
CK : Comme vous le savez deux de mes films ont été tournés par Michel Gondry, un français. Deux films sur quatre c’est quand même une belle majorité on va dire. Mais je crois que vous ne voudriez pas que j’écrive en français car je ne parle pas votre langue. Donc je crois que mon expérience avec Michel s’approche le plus de mon expérience française ou celle que je n’aurai jamais.
Question : J’aimerais une explication sur votre processus d’écriture. Avez vous une écriture linéaire ou se sont des idées en vrac que vous accumulez au fur et à mesure ?
CK : Il n’y a rien de très scientifique ou de très organisé dans ma méthode d’écriture. J’essaie simplement de comprendre quelle doit être la structure puisque c’est essentiel pour raconter l’histoire que je vais écrire. Pour moi, la structure est clé. Comment raconter l’histoire le plus organiquement possible? Ici (pour Eternal), comme vous l’avez vu j’utilise une structure de chronologie inversée pour que le public soi toujours en phase avec les personnages et ce qui se passe en eux. Ainsi la première fois qu’ils se rencontrent, Joël et Clémentine pensent que c’est la première fois, et le public aussi. Et c’est au moment où Joël a cette opération et qu’on est dans sa tête que l’on est comme lui tout aussi perplexe. Je veux que le public ait la même interactivité émotionnelle que le personnage. Au fur et à mesure que les souvenirs reviennent, c’est comme pour nous quand on a une rupture ou quelque chose de douloureux, et bien les souvenirs qu’il développe les premiers sont des souvenirs de tristesse, d’amertume, et donc au début on a une vision de Clémentine qui est entachée de cela. Puis au fur et à mesure les souvenirs de Joël évoluent, et Clémentine a une vision d’elle différente, beaucoup plus colorée. Ce qui est important pour moi, c’est que cette structure marche pour ce film. Ce n’est pas une structure que j’aurais adoptée pour un autre film mais pour ce sujet c’était essentiel. Vous savez, c’est un peu comme l’art figuratif et l’art abstrait. L’art abstrait est celui de la surface. L’art figuratif celui de l’illusion, du rêve. J’avais envie, à travers cela, de réunir l’abstrait et le figuratif. C’est-à-dire que le public pouvait à la fois regarder l’histoire en surface et en intériorité.
Comment écrivez vous ? Est ce tous les jours ? Pendant plusieurs semaines, plusieurs mois et soudain vous vous arrêtez ? Votre travail d’écriture a-t-il évolué depuis le temps, au départ ou vous écriviez pour la télévision ?
CK : Le travail pour la télévision était très très différent car on a des délais à respecter, c’est plus un travail d’équipe. Je suis de plus en plus bloqué dans mon écriture et parfois il m’arrive de passer de longues journées sans rien pouvoir coucher sur la table. Quand je me sens dans un sens positif je trouve ça plutôt bien ces sortes de blocages mais parfois c’est un peu plus difficile. Je vais vous donner un exemple, je travaille sur un scénario depuis très très longtemps, au début je me sentais bien avec et puis en ce moment j’étais de plus en plus nerveux et angoissé parce que ça ne venait plus, puis j’avais de temps en temps les studios qui m’appelaient en disant « Alors tu vas bien, Charlie, tout se passe bien ? Bonnes vacances ? » Vous voyez le genre. Et puis l’autre jour soudain je marchais sur la plage et j’ai eu une idée, une idée que j’aime, et soudain je l’ai incluse dans le scénario en pensant qu’elle apportait réellement une solution et je pense que si, plutôt qu’être désespéré de mon blocage, je m’étais forcé à trouver une idée, je pense que cela n’aurait pas été mieux. En tout cas je pense que ça n’aurait pas été le même film mais un film très différent. Je me suis rendu compte que comme pour Adaptation, comme pour Eternal sunshine of the spotless mind, au bout d’un temps pourtant très long dans l’écriture, à la dernière minute, je suis prêt à faire de gros changements et c’est comme ça que je fonctionne.
Une journée d’écriture, à quoi cela ressemble t-il ?
CK : Cela dépend. J’aimerais pouvoir dire que je suis toujours dans la fluidité, parfois cela arrive. Mais le plus dur pour moi c’est de trouver le concept de la scène, de savoir où elle va aller. Mais une fois que j’ai trouvé le concept, l’écriture du dialogue est finalement assez simple, mais lorsque je travaille je reviens beaucoup sur ce que j’ai écris précédemment. Je retravaille énormément les pages de mon scénario et j’ai l’impression à ce moment que je suis vraiment en train d’accomplir quelque chose. Ma journée, je pourrais dire qu’elle est assez belle, mais elle ne l’est pas toujours, elle ne l’est pas en général. Pour moi le plus simple, c’est en fait le processus de réécriture une fois que j’ai le scénario. Ainsi, si un réalisateur veut le moindre changement, où si moi-même je vois des changements, ce n’est pas compliqué. À ce moment la je peux facilement écrire jusqu’a 10 pages par jour alors que lorsque commence le processus d’écriture, je peux à peine écrire une demi page par jour.
Je voulais savoir si vous vous refréniez un peu dans vos délires parce que vos scénarios sont parfois assez tordus, assez délirants, je voulais savoir si parfois vous vous disiez : « Non là c’est trop pour le spectateur ! » ?
CK : Justement c’est lorsque j’ai le sentiment que je ne peux pas, que je ne devrais pas que j’y vais à fond ; C’est mon audace à moi, et c’est cela qui m’excite. D’ailleurs pour vous donner un exemple, à l’époque de Dans la peau de John Malkovich, je n’étais pas dans le monde du cinéma, je ne connaissais absolument pas cet acteur. Je me suis dit : « Non tu ne peux pas le faire » et c’est ce qui m’a complètement fait marrer, ce qui m’a excité, et bien sur je l’ai fait. C’est la même chose pour Adaptation, me mettre dans le script, quelle idée terrible…et évidemment je l’ai fait.
Comment fait on la transition du monde de la télévision au cinéma, et comment avez-vous rencontré Spike Jonze, Michel Gondry et d’autres?
CK : Quand je travaillais à la télévision, je travaillais sur des shows télévisés et ceux-ci, vous savez, s’annulent plus souvent qu’ils n’existent donc il y a une saison comme ça au mois de mai, où on engage les scénaristes des shows, et je me suis retrouvé soudain avec du temps libre devant moi, et j’ai toujours voulu être scénariste, scénariste de cinéma donc je me suis dit pourquoi pas commencer à écrire et comme ça répandre des échantillons de ce que je sais faire. C’est comme ça que j’ai fait un échantillon de ce qui allait devenir ensuite Dans la peau de John Malkovich, même chose pour Adaptation. Donc en fait on m’engageait et, parallèlement, j’écrivais et, parallèlement surtout, ces scénarios commençaient à circuler à Hollywood. On les remarquait, on les trouvait assez sympa et tout le monde me disait : « Ecoute c’est vraiment rigolo tes trucs mais personne ne les fera jamais ». Je trouvais ça très bizarre mais finalement je l’acceptais comme un fait accompli et à ce moment là on m’a confié comme une œuvre de commande d’écrire Confessions d’un homme dangereux et puis, parallèlement, Spike Jonze a reçu mon scénario Dans la peau de John Malkovich. Je ne connaissais pas du tout Spike Jonze, j’ai même cru au départ qu’il s’agissait du fils d’un homme dans les années 40 faisant de la musique avec des effets sonores, enfin quelqu’un de très intéressant. J’ai découvert le Spike Jonze que maintenant je connais, on a sympathisé, il avait vraiment envie de faire mon scénario. De toute façon, comme il avait été le seul à en exprimer l’envie je n’avais pas le choix. Pour Michel Gondry, c’est arrivé tout simplement parce que c’était le réalisateur favori de Spike Jonze et c’était son ami. Il me l’a présenté et c’est ainsi qu’a commencé également l’aventure avec Michel Gondry.
Aimeriez vous qu’on utilise Adaptation pour l’étudier dans les écoles, en le décryptant ?
CK : Je ne sais pas si j’aimerais que l’on dissèque Adaptation. Moi je ne détesterai pas mais est ce que cela en vaut vraiment la peine ?
Faut il que vous soyez vraiment dans un rapport fusionnel avec le réalisateur lorsque vous écrivez le scénario ?
CK : Au contraire, je préfère ne pas connaître le réalisateur lorsque j’écris un scénario et d’ailleurs, lorsque j’écris en général il n’y a jamais de réalisateur attaché au scénario que j’écris. Sauf pour Eternal sunshine of the spotless mind, bien sûr, où j’ai travaillé au départ avec Michel, mais par contre une fois que nous avons travaillé sur le concept et l’idée, j’ai travaillé totalement de mon coté, totalement séparément, ce que de toute façon je préfère toujours faire. Ce qui a été le cas pour Dans la peau de John Malkovich et Confessions d’un homme dangereux car je n’ai eu contact avec les réalisateurs qu’une fois l’écriture des scénarios achevée. La raison pour laquelle je préfère cette solitude, c’est que je lutte beaucoup lorsque j’écris alors je ne préfère pas parler du processus et le garder vraiment comme une expérience privée intime, dans ma tête. D’abord parce que fondamentalement je veux être personnel dans mon écriture. Or je m’aperçois que lorsque l’on parle aux autres, on a des réactions, bonnes ou mauvaises d’ailleurs, et je ne voudrais pas que ces réactions dissipent ou polluent mes énergies lorsque j’écris.
Dans Adaptation, on voit le personnage Charlie Kaufman sur le plateau du film Dans la peau de John Malkovich. Quelle est votre implication dans le tournage ?
CK : Je ne suis pas du tout impliqué durant le tournage. Je suis surtout impliqué dans les aspects de la production qui sont bien sur la pré production et la post-production, lorsque je parle avec le réalisateur du casting, et surtout de notre vision du film qui va être. Je suis très très impliqué dans les phases de montage et également pour la musique, mais pendant le tournage lui même, j’évite ou j’efforce de ne pas trop m’impliquer sauf si parfois il y a des scènes un peu délicates ou que le réalisateur sent que je dois être sur le tournage pour peut être retravailler certains moments des scènes. Autrement je suis un peu comme dans Adaptation, je suis là, et lorsqu’il y a toute cette action et ce mouvement autour de moi, je sens que je gène et je préfère me retirer.
Les clippeurs Michel Gondry et Spike Jonze sont ils les seuls réalisateurs à pouvoir visualiser votre univers ? D’ailleurs, vous êtes très fidèle à ces réalisateurs. Je voulais savoir si vous pensez que Spike Jonze aurait pu réaliser votre scénario (Eternal sunshine) et en quoi cela aurait été différent ?
CK : Je n’ai travaillé qu’avec trois réalisateurs, donc évidemment Michel, Spike puis George Clooney. Je ne sais pas très bien. Je pense simplement, qu’en tout cas, en ce qui concerne George Clooney, ce n’était pas du tout le bon réalisateur pour porter mon scénario à l’écran. Simplement parce que Spike et Michel collaborent au sens réel du terme. Je me sens, avec eux, entendu. Je sais que ce film, leur film, reste un peu mon film. C’est une véritable collaboration. Je trouve ça assez bizarre que typiquement beaucoup de réalisateurs jettent le scénariste quelque part une fois qu’ils sont en train de tourner car je trouve ça d’une arrogance et d’une vraie stupidité. C’est un mauvais service à rendre à un film que de ne pas collaborer avec celui qui l’a écrit. Je pense qu’il existe d’autres réalisateurs que Spike et Michel pour être dans mon univers mais je ne les connais pas encore.
Je pense que Spike aurait pu réaliser ce film (Eternal) mais cela aurait été un film vraiment très différent. Ce sont deux réalisateurs, en tout cas, auxquels je fais entièrement confiance. Aussi bien de par leur style que de par leur visuel ; Mais vous savez, visuellement ils sont très différents et donc c’est très difficile d’imaginer le film qu’aurait créé Spike. Mais je pense que les deux réalisateurs ont ce point en commun, c’est qu’ils aiment infiniment les personnages et que les visuels sont toujours au service de ce personnage, c’est cela qui est important.
J’ai cette impression que Michel Gondry est plus romantique et que Spike Jonze aurait été encore plus délirant.
CK : Je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense que tous les deux, d’après mon expérience humaine avec eux, sont des romantiques. Des hommes qui s’intéressent à cet aspect des choses et de la vie. Je pense cependant que Spike a un plus grand contrôle, une plus grande maîtrise sur ces tournages. Par exemple, Dans la peau de John Malkovich, probablement l’histoire la plus dingue sur laquelle on ait travaillé. Il y a une retenue de sa part en tant que réalisateur et c’est cela qui rend souvent ça complètement disjoncté.
Comment avez vous jamais pensé à un scénario aussi délirant que Dans le peau de John Malkovich ? Pourquoi John Malkovich et quelle a été la réaction de celui-ci ?
CK : C’est difficile d’expliquer pourquoi John Malkovich. Vous pensez bien que j’ai réfléchi à une réponse à cette question qui m’a été posée maintes fois ; mais en rétrospective je pense que c’est un choix totalement instinctif. C’est-à-dire que je trouvais que c’était une idée à la fois amusante, mais qui n’était pas stupide parce que c’est un véritable acteur. Donc c’est à la fois un choix drôle mais c’est également un choix complexe pour moi et j’ai toujours trouvé que, lorsque l’on voit John Malkovich jouer, il y a toujours un mystère sur ce qui se passe dans sa tête on se demande toujours à quoi il pense vraiment. Il y a une étrange distanciation avec le monde qui l’entoure et donc j’avais trouvé très intéressant soudain de montrer le monde dans les yeux de John Malkovich. Et puis, avouons le, son nom est très drôle pour un titre. Parce que, au moment où j’écrivais le scénario, il n’avait pas encore accepté, bien sûr, de jouer dans le film. Alors on essayait plusieurs idées, vous l’avez compris. Christopher Walken, parce que je voulais un personnage un peu décalé comme cela. Mais à l’oreille ce n’était pas terrible « Dans la tête de Christopher Walken ». Ça ne sonnait pas bien. Je trouve que c’était quand même une considération très sérieuse que le son de cela. Finalement, bien avant que Spike lise le scénario, et bien le partenaire de John Malkovich lui a envoyé le scénario, et sa première réaction a été : « Mais enfin qu’est ce qu’il a ce type, j’ai baisé avec sa nana ou quoi ? » donc il a trouvé ça très très drôle. J’étais moi complètement heureux parce que c’était déjà inespéré que John Malkovich le lise, mais encore plus inespéré qu’il le trouve bien ce scénario. Finalement quand il l’a accepté, son seul souci c’était « Est ce que cela ne va pas paraître comme un trip d’égocentrique ? Est ce que l’on ne va pas se dire, c’est une œuvre de commande, c’est moi qui ai demandé qu’on écrive sur moi ». puis il s’est dit, si le film ne marche pas, ça va rester comme une ombre sur ma carrière, et si il marche, cela va rester aussi comme une ombre sur ma carrière genre «C’est le film ultime». Il avait même pensé un moment de jouer Craig et de ne pas se jouer lui-même ce qui vraiment aurait été un autre concept. En tout cas une fois qu’il était dans le personnage il était complètement à fond, même à un moment il trouvait que je n’étais pas assez dur avec lui-même si je puis dire. Quand à un moment, il parle de lui-même en disant qu’il est un sac de merde surévalué, je dois dire que c’était quand même un moment assez fort.
Vous disiez qu’avec George Clooney, cela n’avait pas été une belle expérience. Que reprochez vous au film Confessions d’un homme dangereux ?
CK : Pourquoi ce problème à la fois avec George Clooney et le film ? Problème lié mais problème pourtant différent. D’abord, George Clooney n’a pas voulu vraiment travailler avec moi. Il est arrivé en hurlant et il m’a dit : « Charlie c’est le meilleur scénario que j’ai jamais lu, c’est formidable! » et puis soudain, je n’étais plus là, il y avait les influences de Steven Soderbergh, les influences d’autres. Donc finalement l’histoire a pris totalement une autre direction dans laquelle je n’étais pas impliqué. On m’a totalement coupé de ce projet en quelque sorte et sans être trop partial, je trouve que l’histoire est totalement dénaturée car j’ai décris une histoire qui se centrait sur l’humanité du personnage. Cet homme dont la vie était derrière lui, qui pensait que sa vie était un échec dont tous les potentiels étaient gâchés. C’est un homme dans un état de dépression, dans un moment très troublé de sa vie. Quand il écrivait ses mémoires il voulait embellir sa vie pour lui donner un autre sens. Il l’embellissait, pour lui, en étant un assassin, un « hitman » de la CIA. C’est ce qui m’intéressait, ce fantasme totalement pré adolescent qu’un homme de 50 ans vivait. Surtout ce qui m’intéressait, c’est finalement la tristesse d’un tel personnage qui doit faire cela. George Clooney était beaucoup plus intéressé par le genre belle de jour/ belle de nuit on fait « Game show » pendant la journée et assassin le soir, ce qui n’était absolument pas l’histoire que j’avais écrite. J’avais vraiment la sensation que pour lui la forme dominait le fond. Le style était plus important que l’histoire et c’était très show-off, comme souvent les œuvres des premiers réalisateurs ou on perd finalement le personnage. Il a restructuré l’histoire et pour moi ça ne marche pas. Ce qui est très embarrassant pour moi, car après tout mon nom est attaché au scénario, c’est qu’il a ajouté des scènes et ça m’a énormément gêné puisque j’en signais quand même le scénario. Je pense que oui, effectivement, j’aurais pu réaliser un meilleur film que celui la.
Allez vous un jour réaliser votre propre film ?
CK : D’abord, pour en terminer avec George Clooney, je vous donne juste un exemple pour vous montrer à quel point c’est allé loin. On m’a montré le film lorsqu’il était très proche du montage final sans vraiment me dire que tout avait déjà été décidé d’avance et voyant le film j’ai remis à George Clooney sept pages de notes pour lui expliquer ce qui à mon sens ne marchait pas ou ne marchait pas très bien. Il n’a pas donné suite à une seule de mes suggestions. J’ai trouvé ça complètement stupide.
Vais-je un jour réaliser mes propres films ? Je pense qu’après le film sur lequel je travaille avec Spike Jonze, et bien peut être que je réaliserai mon premier film.
Merci au festival du cinéma américain de Deauville pour cette incroyable rencontre! Pour en savoir plus sur Charlie Kaufman, lisez sa biographie ici.