Cold War : Analyse esthétique d’un chef d’oeuvre de mise en scène

A l’occasion de la sortie en salles du film Cold War, je vous propose une analyse esthétique du travail du réalisateur Pawel Pawlikowski et de son Chef Opérateur Lukasz Zal, qui ont permis au film de décrocher le prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes.

En 2014, Ida,un film polonais d’un réalisateur relativement méconnu, Pawel Pawlikowski, a fait sensation un peu partout dans le monde. Multiprimé, il a notamment remporté l’Oscar du meilleur film étranger, le BAFTA du meilleur film anglophone et cinq prix aux European Film Awards, dont meilleur film européen. Il était même nominé pour l’Oscar de la meilleur cinématographie, chose extrêmement rare pour un film non produit aux Etats-Unis.

Découvrir le film Ida

Le film suivant de Pawel Pawlikowski a été présenté à Cannes en 2018 et poursuit sur cette belle lancée avec une esthétique qui a convaincu tous les festivaliers, y-compris le jury qui lui a remis un prix de la mise en scène que tout le monde attendait. Vous pouvez lire ma critique de Cold War sur Oblikon.net.

Mais qu’est ce qui fait que cette mise en scène est considérée comme si exceptionnelle ? Cette analyse aborde les partis pris visuels du film et pourquoi ils contribuent à son propos.

Bannde annonce VOST de Cold War

Cold War bénéficie d’une mise en scène et d’une photographie finalement assez semblable au travail qui avait déjà été accompli sur Ida : même imagerie en noir et blanc nous transportant dans le passé, format 4:3 évoquant le cinéma classique et longs plans fixes mettant autan en avant les personnages que les décors, selon l’émotion recherchée. Si la démarche et le résultat son similaires au film précédent, l’ensemble est encore plus maitrisé et cohérent. Le noir et blanc est magnifique, et s’il a pour but de coller à la période historique, il ajoute aussi une dimension poétique nouvelle à l’oeuvre et à l’histoire de ces amants qui s’aiment autant qu’ils se déchirent. Pawel Pawlikowski et Lucasz Kaz n’avaient pas prévu de tourner ce film en noir et blanc, mais ce choix s’est imposé naturellement au fur et à mesure qu’ils préparaient le film et trouvaient les lieux de tournage.

Le travail sur le cadre est également remarquable. A chaque début de nouveau plan, on a l’impression d’admirer une belle photo en noir et blanc, et on se prend à observer la composition, les détails, autant qu’à suivre l’intrigue qui nous est offerte. Comme pour Ida, on retrouve aussi une narration éclatée, avec de longues ellipses, qui permettent au réalisateur un sacré tour de force : condenser deux décennies en 88 minutes sans donner le sentiment de passer à côté de quelque chose d’essentiel. Les informations manquantes nous sont progressivement données, autant que possible par les images, et si besoin par les dialogues.

Extrait de ce qui est peut-être la séquence la plus mobile du film

Interview du Chef Opérateur de Cold War, Lukasz Zal

(extraits)

Cinq ans se sont écoulés depuis la sortie de Ida. Comment s’est fabriqué ce nouveau film ?

Łukasz Żal : Cold War a bénéficié d’une longue période de préproduction d’environ six mois, entre mai 2016 et janvier 2017, pour cinquante-six jours de tournage. En tout presque un an, ce qui est inhabituel pour un film… Mais c’est comme ça que Pawel aime avancer sur un projet. Nous sommes allés voir des répétitions de Joanna Kulig et de la compagnie de danse folklorique Mazowsze, nous avons tourné des essais, avons cherché des cadres, des manières de capturer les mouvements et la danse. C’était un travail excitant. Ensemble, nous avons cherché des solutions visuelles pour chaque scène, ce qui fonctionnait et ne fonctionnait pas, et pourquoi.

De plus, nous avions des réunions hebdomadaires avec nos formidables décorateurs, Katarzyna Sobanska et Marcel Slawinski, et les chefs des autres départements, au cours desquelles on dépouille, on fait le point sur les repérages, on avance peu à peu sur la signification et l’enjeu cinématographique de chaque scène… L’écriture évolue et Pawel, à travers ces discussions, affine son projet.

On a aussi écouté de la musique, regardé des vidéos de concerts – sur ce film, c’était du Thelonious Monk et du Miles Davis – on a revu des films de la Nouvelle Vague et certains Tarkovski. Le projet étant fortement ancré dans une époque et dans des lieux (Paris, Berlin…), on a dû aussi revoir des images documentaires et des images d’archives pour s’en inspirer.

Par exemple, le choix du noir-et-blanc s’est fait au cours de cette période de prépa. On avait d’abord envisagé la couleur, mais nous n’avons pas trouvé la bonne palette et nous ne voulions pas que ça ressemble à de l’Orwo. La Pologne n’est pas l’Amérique du Nord, magnifiquement montrée dans Carol, de Todd Haynes, (image Ed Lachman, ASC) et ses couleurs vibrantes, le pays à cette période se fond en nuances de gris.

Y a-t-il des passerelles avec Ida ?

ŁŻ : Certainement. Déjà, il y a le choix du format 4:3 et le noir-et-blanc. Et le travail de caméra en plans fixes qu’affectionne tout particulièrement Pawel, qui peut s’apparenter parfois à des sortes de tableaux. Pour autant, le film change beaucoup de style au fur et à mesure de la narration. Le début est plus marqué par une référence au documentaire, pour s’en détacher par la suite et aller vers quelque chose de plus stylisé qui peut rappeler Ida. Dans la troisième partie, la caméra bouge plus car elle suit les personnages, qui eux-mêmes bougent et s’enflamment sentimentalement au fur et à mesure que les émotions deviennent plus fortes. A la différence d’Ida, ou au plus dans une certaine mesure, le contraste joue un rôle fondamental dans Cold War. Il est présent à chaque étape, depuis la construction du plan et du cadre, jusqu’à la façon dont les scènes s’articulent, en passant par les niveaux d’émotion entre les personnages et leur dynamique.

Avec Pawel, on a un peu l’impression que chaque plan est comme un petit film autonome à son échelle. C’est quelqu’un qui essaie de faire passer le plus de choses possibles à chaque photogramme, comme dans cette séquence à Berlin où une tonne de trucs se passent dans la profondeur, toutes voulues et dosées pour maximiser la valeur de chaque plan.

Et en lumière ?

ŁŻ : Ce qui est facile et rapide en noir-et-blanc, c’est qu’on peut mélanger les sources. J’aime beaucoup les tungstènes sur variateur, et là, ça ne pose aucun souci. Pour autant je n’ai pas hésité à mélanger des Kino, des 6 kW ou des 18 kW HMI et des LEDs, comme les plaques Aladin qui sont très versatiles et qu’on peut planquer à peu près n’importe où dans un décor. Les séquences autour du groupe de musique ou des concerts ont donné lieu aussi à l’utilisation de PAR 64… Bref un vrai mix de sources selon chaque besoin. Sur la méthode, ce que j’aime faire, c’est ajuster la lumière jusqu’à la dernière minute, voire même entre les prises selon ce qui se passe avec les comédiens et la mise en scène. Pour cela, Przemek Sosnowski, mon chef électro, met chaque source sur variateur, et je reste avec Pawel au moniteur pendant les prises, en écrivant avec lui le film à la lumière. Je confie le cadre à Ernest Wilczynski, un ami fidèle, et cette position me permet de garder la distance nécessaire pour la construction de l’image.

Retrouver l’interview en intégralité sur afcinema 

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Christopher Guyon

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