Blade Runner 2049 : analyse d’une esthétique de génie

Aujourd’hui, je vous propose un article un peu différent avec l’analyse esthétique d’un film en particulier, Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Au programme notamment, le travail du chef opérateur et du monteur du film !

Octobre 2018. Le film est sorti il y a déjà plus d’un an. Vous devez vous dire que j’ai un peu de retard ! D’une certaine manière, vous n’avez pas complètement tort. D’un autre coté, j’ai déjà sorti une analyse de Blade Runner 2049 sur mon autre blog dédié au cinéma, Oblikon.net. Pour tout vous dire, un an après, je suis encore marqué par les images de ce Blade Runner 2049. Le film de Denis Villeneuve est lent, très lent, je ne dirais pas le contraire. Il faut avoir beaucoup de courage et de confiance en soit pour réaliser un film comme celui-ci, surtout avec un tel budget. Surtout, cette lenteur, que beaucoup ont critiqué, est pourtant totalement justifiée.

Dans ce dossier, je vais revenir sur le travail du réalisateur Denis Villeneuve, mais aussi sur celui de ses collaborateurs sur ce film : L’un des meilleurs chefs opérateurs du moment, Roger Deakins, le superviseur des effets spéciaux John Nelson et le monteur Joe Walker. Ils ne sont pas les seuls qui méritent les louanges, mais se concentrer sur ces quatre hommes permet de mieux appréhender l’imagerie de Blade Runner 2049 et de comprendre pourquoi et comment elle est au service de l’histoire et des émotions véhiculées par le film.

Je vous propose de commencer ce dossier avec une belle mise en bouche, un montage vidéo de quelques unes des plus belles séquences du film.

Un chef d’orchestre, Denis Villeneuve

Si beaucoup de mauvaises langues ont insinué que Roger Deakins avait « volé » le film avec sa photographie, le réalisateur, le chef d’orchestre, celui qui est le principal instigateur de la réussite de Blade Runner 2049, c’est bel et bien Denis Villeneuve. Il a prouvé dans ses différents films, notamment Enemy et Premier contact, qu’il savait manipuler et exploiter le visuel, en tirer des métaphores, un symbolisme fort, pour raconter ses histoires d’abord avec des images, et dans un deuxième temps, seulement, avec des mots.

Avec Blade Runner 2049, il tourne sont premier blockbuster (en attendant Dune) et bénéficie d’un budget confortable de 150 millions de dollars. Il choisit de raconter son histoire de manière plutôt intime, centrée sur les personnages, les émotions et les sensations, plutôt que faire la part belle à l’action. Et pourtant, Sicario nous a montré qu’il maitrisait l’action comme un chef s’il le voulait. C’est donc bel et bien un parti pris. Mais qui dit intimiste ne veut pas dire que le film n’est pas épique, que l’univers n’est pas démesuré.

Une grande partie du public, à la sortie du film, s’est accordée à dire que le film était trop long, que l’histoire était relativement simple, et que les visuels étaient incroyables. L’apparente simplicité d’une histoire ne veut pas dire que le film est simpliste. Un film, c’est avant tout des images, et Denis Villeneuve choisit de communiquer les thèmes avec des images. C’est qui fait de lui, déjà, un grand cinéaste.

En plus, il choisit de privilégier les décors physiques : décors naturels ou fabriqués, plutôt que de surcharger ses images de CGI comme dans la plupart des blockbusters. Il fait ce choix, sans pour autant se fermer aux effets spéciaux, qui jouent un rôle primordial dans le film. On reviendra plus bas sur la fameuse séquence du plan à 3, mais on peut déjà aborder l’utilisation des fonds verts.

Là ou dans un production Marvel par exemple, les acteurs vont jouer de nombreuses scènes avec uniquement un fond vert autour d’eux, Denis Villeneuve utilise cette technologie avec parcimonie, avec intelligence, et l’utilise pour revenir aux bases du cinéma : Pour augmenter la profondeur de champ !

Dans quasiment toutes les séquences, il y a un travail important sur la profondeur de champ. Parfois, c’est fiat naturellement, avec les décors, et parfois, cette profondeur est créée virtuellement. Les acteurs jouent dans un environnement qui est réel et qui est ensuite enrichi visuellement à l’aide d’ordinateurs pour servir le propos.

L’un des autres choix visuels fort de Denis Villeneuve sur Blade Runner 2049 est de ne pas abuser des mouvements de caméra. Contrairement à un réalisateur comme Steven Spielberg, dont la caméra est quasiment toujours en mouvement, il va utiliser de nombreux plans fixes.

Encore une fois, comme avec les effets spéciaux, cela ne veut pas dire qu’il s’interdit de faire des mouvements. Il va simplement le faire avec parcimonie, et surtout de manière particulièrement réfléchie. Ainsi, lorsque la caméra est en mouvement, elle n’est pas tremblante. Elle est fluide et stable. Trois mouvements en particulier sont régulièrement utilisés :

mais plutôt comme un Coppola deuxième partie de carrière, il fait le choix de limiter les mouvements, peu, mais utiles, percutants.

  • Traveling avant : La caméra qui suit un personnage de dos. On découvre le monde par le mouvement de la caméra, mais à travers le regard des personnages que l’on suit
  • Dolly : la caméra se rapproche, mais très lentement. Utilisé pour attirer notre attention sur quelque chose d’important
  • Traveling latéral : pour prendre le temps de découvrir le décor, un nouvel environnement.

Enfin, et c’est quelque chose d’assez inhabituel, Blade Runner 2049 avait un planning établi en amont et basé sur les conditions météorologiques probables des lieux où l’équipe avait prévu de tourner. Tous les réglages lumière et caméra avaient déjà été testé avant le tournage, à différents horaires, et validés par le réalisateur et son chef opérateur Roger Deakins. Nous allons justement maintenant nous intéresser au travail de ce collaborateur de choix, considéré par beaucoup comme le meilleur directeur de la photographie en activité.

L’influence de Roger Deakins

Le chef opérateur est probablement le poste le plus important, décisif, après celui de réalisateur. Son travail est essentiel, puisque c’est lui qui est en charge de créer les images que le réalisateur a en tête. Et on l’a déjà dit plus haut, les images, c’est l’essence du cinéma.

Souvent, le chef opérateur travaillera étroitement avec le réalisateur durant la pré-production du film pour définir l’ambiance visuelle souhaitée par le réalisateur et lui proposer des idées. Roger Deakings, déjà considéré comme un génie anvec Blade Runner 2049, a signé son plus beau travail avec ce film.

L’un des premiers choix, assez évident, certes, est de filmer avec des objectifs larges, et dans un format large, afin de donner le maximum de visibilité, dans la largeur aux décors. L’inconvénient de ce genre d’objectif est la perte en terme de profondeur de champ, mais je l’ai expliqué plus haut, cela a été compensé magistralement. L’immersion est clairement renforcée grâce à ce choix de matériel.

L’autre grande réussite de Roger Deakins est le rendu du film en terme de couleurs. La couleur grise domine le monde extérieur. La nuit, ce sont le bleu, et de nouveau le gris qui dominent. Mais la couleur la plus importante, c’est le jaune. Dans certaines séquences, elle est omniprésente, elle s’impose sur tout le cadre, notamment dans le QG du mystérieux Wallace ou dans la cachette de Deckard et ses secrets. Dans d’autres scènes, c’est simplement un accessoire, un objet de décor qui est jaune et qui apporte des informations. La couleur jaune est donc celle du savoir.

Un dernier point du travail de chef opérateur mérité d’être mis en avant, c’est bien sûr celui sur les lumières. Encore une fois, les choix ne sont pas anodins, ni gratuits. Le seul lieu de Blade Runner 2049 où il semble y avoir de la lumière direct, venant du soleil, est le QG de Wallace, mais elle est toujours en mouvement, comme si elle était en fuite. Les lumières sont utilisées pour refléter l’eau sur les décors et personnages.

Pour plus d’infos sur cette méthode d’éclairage et le travail de Roger Deakins, vous pouvez regarder la vidéo (en anglais) ci-dessous.

Des effets spéciaux au service de l’émotion

On pourrait dire des milliards de choses sur les effets visuels du film. J’ai déjà évoqué les fonds verts, mais il y a une séquence en particulier qui mérite qu’on s’y attarde : la scène d’amour / plan à trois ! C’est grâce au talent du superviseur des effets spéciaux John Nelson (Gladiator, Iron Man) que cette séquence, la plus belle du film à mes yeux, a pris vie, comme le personnage de Joy. Encore une fois, les effets numériques ne son pas là pour en mettre plein la vue, mais pour créer de l’émotion, faire avancer les personnages.

La séquence a été tournée séparément avec les deux actrices, et de multiples caméras autour d’elles, sur le plateau. Tout a été minuté en détail afin que leurs mouvements soient synchronisés. La performance des actrices va donc au-delà de leurs visages, mais vraiment aussi en terme de gestuelle.

La synchronisation a ensuite été restituée et intégrée par ordinateur. Les deux personnages féminins fusionnent, de manière presque organique, et le spectateur prend une claque.

Monter Blade Runner 2049

C’es Joe Walker, déjà collaborateur de Denis Villeneuve sur Sicario et Premier contact, qui s’est chargé du montage du film, une tâche particulièrement difficile selon lui.

La première version montée du film durait plus de 4h. Elle était composée de deux parties. La scène d’amour servait de clôture au premier chapitre. Détail intéressant, les deux parties commençaient avec un oeil qui s’ouvrait. Une belle cohérence narrative.

le plus dur, selon Joe Walker, a été de couper ce qui avait été mis en boite lors du tournage « Sur Blade Runner, j’ai une séquence incroyable, avec cette lumière qui reflète l’eau, et Sylvia Hoeks qui monte un escalier. La première personne que l’on voit dans la pièce est un homme dans l’ombre, un homme aveugle, avec cette lumière du soleil en mouvement. Couper pour ramener ce passage à 4 ou 5 secondes, ce serait détruire une séquence fabuleuse ».

C’est ce « refus » d’alterer le travail du chef opérateur, qui contribue à créer le rythme lent du film, et qui justifie les 163 minutes que dure celui-ci.

« La tension est maintenue, mais elle est étirée, laissant le temps au public de vraiment s’immerger dans les paysages, sans laisser les évènements imposer leur rythme. »

Cela créé une atmosphère presque réelle, comme dans un rêve (rappelons que la nouvelle de Philip K. Dick qui a inspiré le premier film s’intitule « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? »). Comme le premier Blade Runner et surtout comme les films du réalisateur russe Andrei Tarkovsky (Stalker en tête), Blade Runner 2049 utilise l’image pour explorer la psychologie humaine de manière philosophique. Et ce sont tous ces éléments à priori techniques, tout ce travail d’artistes, parmi les plus talentueux du métier, qui contribuent à créer un univers encore plus dense, encore plus complexe que dans le premier Blade Runner. Un univers qui annonce la fin du monde des hommes, sur une planète morte, et l’émergence des répliquants.

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Christopher Guyon

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