Dans cet article, je vous propose d’aborder un aspect essentiel de la mise en scène, considéré comme primordial par les grands réalisateurs mais de plus en plus délaissé aujourd’hui par les cinéastes, souvent pour des raisons économiques ou un manque de connaissances visuelles : La profondeur de champ.
La profondeur de champ est un terme employé au cinéma, mais aussi en photographie. Cela correspond à la zone de l’image dont les éléments sont nets, ne sont pas flous. On parle aussi de zone de netteté de l’image ou de plan focal. Plus concrètement, il s’agit de la distance entre le premier et le dernier plan net d’une image.
Aujourd’,hui, jusque dans les écoles de cinéma, cet aspect est délaissé. La profondeur de champ n’est pas ce qu’il ya de plus facile à prendre en compte, notamment avec les nouveaux outils utilisés sur les tournages. Pourtant, elle joue un rôle capital dans la mise en scène.
Les bases de la profondeur de champ
La profondeur de champ dépend de plusieurs critères : l’ouverture du diaphragme, la focale utilisée et enfin la distance du ou des objets photographiés ou filmés. Ainsi, en réduisant l’ouverture du diaphragme ou la focale de l’objectif, on va pouvoir augmenter la profondeur de champ, et donc, la zone de netteté.
La profondeur de champ permet notamment de donner de l’importance à un sujet par rapport aux autres en jouant sur la netteté des différents éléments. Si la profondeur de champ est réduite, le sujet principal est mis en valeur, isolé par rapport aux autres éléments qui sont flous. A contrario, si la profondeur de champ est élevée, le sujet est intégré aux autres éléments de l’image, qui ont eux aussi leur importance. L’effet de flou au 1er ou 2nd plan est appelé en photographie le bokeh.
La profondeur de champ au cinéma
Aujourd’hui, on observe une homogénéité de l’utilisation de la profondeur de champ au cinéma, notamment aux Etats-Unis. Que ce soit pour les blockbusters hollywoodiens en 3D et le cinéma indépendant, les réalisateurs américain sont de plus en plus nombreux à proposer des plans avec une profondeur de champ très réduite, avec un sujet très net et le reste de l’image flou. L’utilisation d’appareils photo numériques reflex pour les tournages de court-métrage tend également à généraliser ce type d’images au cinéma.
Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. De grands réalisateurs ont utilisé la profondeur de champ pour renforcer la narration de leur film. L’exemple le plus symbolique est Orson Welles, qui a marqué plusieurs générations de cinéphiles et d’artistes avec son premier film, Citizen Kane. Au cours d’une même séquence, il s’amuse à changer la profondeur de champ pour fournir de nouvelles informations au spectateur. De même, les personnages du film ne sont pas systématiquement situés au premier plan de l’image mais peuvent être en retrait, à l’arrière plan, sans pour autant être flous.
Comment accentuer la profondeur de champ ?
Il existe quelques techniques très efficaces, et pas forcément si compliquées pour donner plus de profondeur de champ à vos plans. Pour cela, il va falloir travailler en étroite collaboration avec votre chef opérateur.
Renforcer le contraste avec les lumières : l’éclairage peut être un très bon moyen de renforcer la profondeur de champ et la composition de votre cadre. Pour cela, vous pouvez placer une lumière, naturelle ou artificielle, derrière le personnage ou objet au premier plan (on appelle cela une « backlight » ou contre jour), et en direction de celui-ci, de la caméra. Cela aura pour effet de créer un contraste plus fort et de « détacher » le personnage de l’arrière plan. Vous pouvez également orienter votre lumière, toujours derrière le personnage, mais cette fois-ci en direction de l’arrière plan. Cela renforcera également le contraste et la profondeur de champ.
Utiliser le Focus : Le focus permet de focaliser l’attention du spectateur sur un élément en particulier, un objet ou un personnage, souvent situé au premier plan.
Perspective : Vous pouvez jouer avec la profondeur de champ, au cours d’une séquence, et même dans un seul plan, en jouant avec votre caméra, votre lentille, pour changer la perspective. Modifier la perpective dans un seul et même plan donnera clairement de l’énergie à votre image, sans avoir à couper et abuser du montage et de plans courts. Attention toutefois à vous assurer que c’est pertinent et que ce n’est pas un effet « gratuit ». Je ne me répéterais jamais assez, mais le visuel est le plus important dans un film, et abuser de mouvements dans la composition ou de mouvements de caméra sans réelle métaphore, sans sens à part en mettre plein la vue, c’est inutile !
La profondeur pour donner du sens
Maîtriser la profondeur de champ est un art complexe. Si vous tournez votre premier film, vous devez faire simple, et peut être seulement jouer sur la profondeur de champ sur quelques plans, pour ne pas rendre trop difficile votre tournage. Toutefois, je ne peux que recommander aux cinéastes avec un peu d’expérience d’accorder de l’importance à la profondeur de champ et à la perspective. Vous le verrez ci-dessous, de nombreux exemples vous permettent de voir en quoi cela enrichit l’expérience visuelle proposée par vos films. Orson Welles et Stanley Kubrick en ont fait leur marque de fabrique (et sont tous les deux considérés comme des génies) mais ils ne sont les seuls, loin de là.
Donner plus de profondeur de champ, cela consiste à donner le plus de netteté possible à l’ensemble des éléments du cadre, sans isoler un sujet spécifique. C’est parfait pour présenter un environnement ou encore pour donner une impression de « réalité » au spectateur, puisque le contenu de l’image se rapprochera esthétiquement de notre façon de voir les choses. Cela permet aussi de donner autant d’importance à tous les personnages présents dans le cadre, créer un sorte d’unité, comme dans l’extrait ci-dessous.
Au contraire, vous pouvez réduire la profondeur de champ et vous focaliser sur un élément au premier plan. Cela permet de communiquer au spectateur ce qui est important, là ou il doit concentrer son énergie. Si vous optez pour un montage particulièrement découpé, avec de nombreux plans, c’est une alternative intéressante car le spectateur aura plus facilement la possibilité de se focaliser sur l’essentiel.
Autres exemples d’utilisation de la profondeur de champ
Dans cette extrait de Citizen Kane, on voit bien comment Orson Welles utilise la profondeur de champ pour positionner, dans l’espace et narrativement, le personnage de Kane par rapport aux autres. Personnage au centre de toutes les conversations, il est en retrait et n’est au final que peu participant mais victime des décisions d’autres personnes.
Pour une analyse pus aboutie de l’utilisation de la profondeur de champ dans Citizen Kane et d’autres films, vous pouvez également consulter cette analyse : La profondeur de champ
Dans le montage ci-dessous, vous avez de nombreux exemples d’utilisation de la profondeur par quelques uns des meilleurs réalisateurs contemporains : Terrence Malick, Alejandro Gonzalez Inarritu, Martin Scorsese, Denis Villeneuve, Peter Weir…
Aujourd’hui, il est même possible de tricher avec la profondeur de champ ! Tricher, c’est à dire ? Les effets visuels, notamment les CGI et les fonds verts, permettent de renforcer la profondeur de champ en post-production. Le meilleur exemple récent pour cela est le film Blade Runner 2049. Je vous laisse regarder la vidéo ci-dessous, dédiée au travail du chef opérateur Roger Deakins sur le film, pour comprendre comment ça marche !
Aller plus loin
Cette vidéo donne des explications techniques détaillées sur le fonctionnement de la profondeur de champ. C’est un parfait complément à cet article.