Aujourd’hui, je vous partage quelques conseils d’un grand scénariste américain, Paul Schrader suite à une Masterclass à laquelle il a participé lors du New York Film Festival de 2018.
J’imagine que certains d’entre vous savent qui est Paul Schrader. Pour les retardataires, c’est un scénariste et réalisateur acclamé à Hollywood. Il s’est fait connaître en signant les scénarios de quelques-uns des meilleurs films de Martin Scorsese (Taxi Driver, Raging Bull), Peter Weir (Mosquito Coast) ou encore Brian De Palma (Obsession)… Il a également réalisé plusieurs films comme American Gigolo, Affliction et plus récemment The Canyons et l’excellent First Reformed, présenté au Festival de Venise 2017. Voilà pour l’historique rapide. Maintenant, on va entrer dans le vif du sujet et s’intéresser à ce que le Monsieur peut nous dire sur l’écriture de film.
Suggestion de lecture : Les étapes pour écrire un court métrage
Les conseils de Paul Schrader
Je vous propose ici un résumé des éléments clé de la « Méthode Schrader », mais si vous maitrisez l’anglais, je vous encourage à regarder la Masterclass, en bas de l’article, en intégralité.
L’écriture de scénario est une thérapie personnelle
Avant d’être réalisateur, Paul Schrader est donc avant toute chose un scénariste. Mais avant d’écrire les scripts qui ont eu tant de succès, Paul Schrader a eu une autre carrière, celle de journaliste ! Il a également écrit de nombreux livres sur le cinéma, jusqu’à ce qu’il ressente le besoin de raconter ses propres histoires. Pourquoi ?
« Beaucoup de gens voient l’écriture de scénario, à tort, comme un moyen de devenir célèbre. Mais c’est surtout un outil pratique que vous pouvez utiliser sur votre propre vie : un moyen d’introspection. J’ai écrit Taxi Driver comme une thérapie personnelle par rapport à des pensées très sombres que j’avais à l’époque. A chaque fois que j’écris un script, c’est toujours par ce process d’introspection. Isolez un problème dans votre vie. Trouvez une métaphore à ce problème. Commencez alors à écrire à travers cette métaphore et regardez où cela vous conduit. Pour Taxi Driver, J’étais solitaire, la métaphore était de conduire un taxi à travers la ville, et l’intrigue est venue progressivement. «
Comme on le dit toujours, lorsque l’on écrit, même si le personnage est d’un autre sexe, ou un tueur en série, même si l’action se déroule sur une autre planète… c’est toujours, d’abord, à propos de soi que l’on écrit. Voir l’écriture comme une thérapie, surtout lorsque l’on développe des projets assez sombres, assez psychologiques, fait donc totalement sens. Lorsque l’on pense aux personnages torturés imaginés par Paul Schrader, on peut se dire qu’il a bien fait de trouver ce moyen d’évacuer ses problèmes.
Décrivez votre histoire
Ecrire la continuité dialoguée tout de suite après avoir eu une idée n’est pas forcément le plus judicieux. Schrader peut réflechir à une idée pendant plusieurs semaines, mois ou même années avant de s’attaquer à l’écriture du scénario en lui-même. Et cela ne veut pas dire qu’il ne va rien faire entre-temps !
« Je déteste écrire jusqu’à ce que cela me semble juste, jusqu’à ce que je me sente prêt. Si quelque chose manque, je le sens… »
C’est exactement ce qu’il s’est passé avec le dernier scénario de court métrage que j’ai écrit. Depuis deux ans déjà j’avais une idée, un souhait. Un souhait parmi tant d’autres, je n’étais même pas sûr que j’irai plus loin car je multiplie les idées. Je notais, de temps en temps, quelques réflexions, quelques pistes. Et un matin, j’étais prêt. Ma vie personnelle, mon ressenti du moment, mes émotions étaient en phase avec cette idée. En deux heures, j’ai écrit un traitement de deux pages. Je l’ai mis de côté, j’ai continué à noter des possibilités, des idées, des bouts de dialogues possibles. Et trois semaines plus tard, j’ai attaqué l’écriture du scénario. J’avais tellement remué les thèmes du film que je savais assez clairement où j’allais. Il m’a fallu seulement 5 jours pour arriver à la première version de la continuité dialoguée. Et aujourd’hui, comme c’est un projet que je compte aussi réaliser, je peux vous dire que je sais exactement comment je veux faire le film, mais ça c’est encore une autre histoire…
Racontez votre histoire à vos proches
Je vais encore parler un peu de mon expérience personnelle avant de revenir sur les propos de Paul Schrader. Comme évoqué plus haut, j’ai écrit le traitement, et j’ai attendu trois semaines avant d’écrire le scénario. Entre temps, j’ai envoyé le traitement à plusieurs personnes, j’ai raconté l’idée aux gens que je rencontrais. A travers leur regard et leurs commentaires, j’ai découvert plein de choses sur cette histoire dont je ne m’étais même pas rendu compte… Au moment d’écrire la continuité dialoguée, j’avais une vision bien plus affutée que si je l’avais fait le lendemain de la rédaction du traitement ! C’est la première fois que je fonctionne en prenant autant mon temps, en murissant autant l’idée, l’histoire, la personnage…
Paul Schrader a un process un peu similaire. Il prend son temps, et surtout, il en parle à ses proches, pour voir leurs réactions.
« Ecrire un film, ce n’est pas vraiment une question d’écriture, mais de « raconter ». Et cela demande de la pratique. Invitez un ami à déjeuner ou prendre un café et racontez-lui votre histoire du début à la fin. C’est comme du Stand-Up. Si votre ami décroche, improvisez, ajoutez de nouveaux éléments, et notez-les. Lorsque vous arrivez à une situation ou vous pouvez raconter votre histoire pendant 45 minutes (pour un long métrage) sans perdre l’attention de vos amis, cela signifie que vous pouvez commencer à écrire. Au moment ou je commence à écrire la première page, j’ai déjà défini mon histoire et je l’ai racontée, donc je connais son rythme, sa structure parfaitement. »
Ce n’est peut être pas la méthode qui sera salvatrice pour tous les scénaristes, mais pour avoir fonctionné un peu de la même manière et en être très satisfait, je ne peux que vous conseiller de l’essayer. Jusqu’à maintenant, je me suis toujours senti comme un réalisateur obligé d’écrire des scénarios car il me manquait le collaborateur pour le faire. Avec mon dernier script, pour la première fois, je me suis aussi senti, pour la première fois, réellement, comme un scénariste.
Définissez votre méthode
Le meilleur moyen de trouver la façon d’écrire la plus productive pour vous est de faire des tests. C’est pour l’écriture de mon septième scénario de court métrage que je pense enfin avoir trouvé une méthode dans laquelle j’arrive à être efficace. Le meilleur moyen est d’écrire, encore et encore, mais pas forcément trop, au risque de perdre toute inspiration, tout plaisir. Voici la routine de Paul Schrader :
« J’écris de 22h à 5h du matin. J’ai un ami qui se lève à 6h du matin pour écrire, et c’est un également un très bon scénariste. Je connais certains auteurs qui comprennent leur scénario progressivement, en essayant, en faisant des erreurs. Vous devez trouver ce qui marche pour vous. Pour moi, la réécriture se fait lors des répétitions, quand vous entendez enfin des gens lire vos mots. »
Ecrivez votre scénario et faites vous discrets
Le scénario n’est pas une oeuvre d’art. C’est simplement un outil utile à la production du film. Et avant d’être un outil, c’est d’abord votre plaquette commerciale, votre outil pour convaincre un producteur de vous payer et de développer le projet ! Il est donc très important de prendre en compte cet aspect lors de l’écriture de scénario. Vous devez séduire, convaincre, quitte à faire des concessions, dissimuler des éléments, en rajouter. Certaines intentions peuvent être difficiles à exprimer à l’écrit.
« Vous devez écrire comme si vous voulez vendre. Imaginez un producteur qui lit chaque jour plusieurs scénarios. Il n’attend qu’une chose, une excuse pour mettre le script de côté. Rendez votre scénario accessible. Aucun scénariste ne devrait insérer des intentions de réalisation ou de montage dans un scénario. Et aucun scénariste ne devrait être autorisé sur le tournage. »
Cela peut paraitre extrême, mais lorsque vous écrivez, vous devez rester dans votre rôle. Même lorsque vous prévoyez de réaliser le film, le scénario doit rester un scénario. Vous pouvez noter vos idées de mise en scène par ailleurs, surtout lorsque vous êtes débutant, et que vous n’avez aucune garantie que vous serez vous-même le réalisateur.
Pour ceux qui ne le savent pas, Quentin Tarantino, par exemple, a vendu le scénario de True Romance pour pouvoir financer et tourner Reservoir Dogs.
Développez vos personnages à partir de votre expérience
Bon, on en revient un peu à cette notion de thérapie personnelle à travers l’écriture, mais Paul Schrader a été vraiment insistant sur le sujet. Il évoque aussi la possibilité de s’inspirer des gens que l’on rencontre, les comprendre grâce à l’empathie, l’analyse :
« Le journalisme, et particulièrement le fait d’interviewer des gens, a été essentiel pour m’apprendre à lire les gens. Nous sommes tous humains, et qui que vous soyez, si nous parlons, je vais toujours trouver quelque chose en commun. C’est comme ça que vous devez penser lorsque vous écrivez. »
Même si vous écrivez sur un homme violent, avec des problèmes liés à l’alcool, ou un meurtrier, vous devez être capable de trouver ce qui vous rapproche de ce personnage, les points communs que vous avez avec lui. Sans cela, il sonnera probablement faux.
Par le passé, Paul Schrader a donné de nombreuses interviews ou il revient sur sa méthode pour écrire des scénarios. Voici une sélection de propos qui m’ont paru vraiment intéressants.
« Je sais exactement dans quelle direction je vais lorsque j’écris un scénario. A la moitié de la page, je suis capable de dire si je suis hors sujet ou pas. Je fais toujours des cartes du film avant d’écrire. Avant de m’assoir, j’ai déjà toutes les séquences de listées, ce qui se passe dans chaque scène, combien de pages devrait prendre chaque scène. »
« Vous montrez une image, et celle-ci créé une empathie, que cela soit une personne ou un lieu. Puis, vous déplacez cette image, et vous créez de l’empathie ET de l’action. C’est comme cela que fonctionnent les films. Mais on peut aussi briser ces règles. »
« Un bon personnage a un mystère. Parfois, vous pouvez avoir une idée de ce que ce mystère, et parfois, vous ne voulez pas savoir. Parfois, le personnage fait quelque chose et vous vous demandez vous même : Pourquoi est-ce qu’il fait ça ? »
« Nous sommes, comme dirait Charles Dickens, en train de vivre l’âge d’or et la pire période. L’âge d’or car tout le monde peut faire un film… {…} En même temps, si tout le monde peut faire un film, on ne peut pas tous en vivre. Et il y a trop de films, et trop de publics. Plein de films merveilleux meurent sans exister pour le public. Après 100 ans, le cinéma a finalement trouvé sa place parmi les autres arts. Combien de peintres réussissent à en vivre ? 3, 4, 5% ? On en est au même point avec les films. Peut être que seulement 5% des réalisateur peuvent vivre de cette activité. Ce n’était pas comme cela avant. »
Quelques ressources supplémentaires que je peux vous recommander sur l’écriture de scénario :
- Les meilleurs livres sur l’écriture de scénario
- Exemples de scénarios
- La mise en page du scénario
- Livre : les clés d’un scénario réussi
- Livre : Ecrire un film, scénaristes et cinéastes au travail
L’intégralité de la Masterclass Ecrire pour le cinéma
L’intervention de Paul Schrader au Festival de New York a duré plus d’une heure, et si vous êtes à l’aise en anglais, c’est passionnant, découvrez la au plus vite !
L’aspect pour devenir réalisateur est pas mal mais je pense qu’il doit être un peu plus poussé.