Les films expérimentaux : c’est quoi ?

Le cinéma expérimental est un type de cinéma, un monde à part entière, qui semble s’opposer au cinéma traditionnel, dit ‘’commercial’’. A la croisée entre le cinéma et l’art plastique, ne respectant aucune règle, ou plutôt, créant ses propres règles, il est d’une originalité singulière mais bien difficile à définir et à approcher.

Les expérimentations et débuts de ce cinéma

Le cinéma expérimental prend ses racines dans les années 1920. En effet, les premiers films avec des images en mouvements ont été produits par les frères Lumière à la fin du XIXe siècle. Ainsi le cinéma se développe et commence à être codifié au début du XXe siècle. C’est donc après la première guerre mondiale, dans une Europe dévastée et appauvrie, que des artistes de tous horizons (écrivains, cinéastes,  peintres…) se sont amusés à créer des films qui avaient pour but de ridiculiser les règles du cinéma. Le cinéma narratif était censé être un rendu réaliste de la vie ; le cinéma d’avant-garde a voulu souligner le caractère artificiel de ce rendu mais aussi prouver qu’il n’y a pas qu’une façon de faire du cinéma. Il moquait également les valeurs bourgeoises des classes moyenne et haute, très présentes dans le cinéma narratif. Même constat aux Etats-Unis, qui voit apparaître un mouvement de cinéma militant et contestataire en tout genre, à l’initiative de critiques ou d’amateurs de cinéma.

Un véritable milieu s’organise et des collectifs voient le jour pour revendiquer leur art ; à New York nous voyons The Film-Makers’ Cooperative et en France le Collectif Jeune Cinéma par exemple. D’autres associations voient le jour dans beaucoup de pays d’Europe, des manifestes sont écrits et différents mouvements ou genres apparaissent, comme le futurisme ou le surréalisme.

Jusque-là encore tous isolés les uns des autres, c’est à la fin des années 1960, lorsque deux réalisateurs américains voyagent dans plusieurs pays pour présenter leur art qu’ils rencontrent d’autres artistes. Alors, les cinéastes de tous les pays se rendent compte qu’ils ne sont plus seuls et le cinéma expérimental s’internationalise au cours des décennies suivantes.

Dans le même temps, le cinéma expérimental tente de se développer mais les acteurs de la production et de la distribution refusent de prendre en charge des films expérimentaux. Afin de poursuivre leur art, toute cette génération de cinéastes crée eux-mêmes leur système de production, de distribution et d’exposition, leur permettant ainsi de contrôler toutes les étapes de développement de leurs œuvres ; on trouve notamment l’atelier de l’Etna à Paris. C’est comme cela que le cinéma expérimental se développe, créant des réseaux indépendants entiers, comme Filmlabs en France, qui regroupe désormais 27 ateliers indépendants, dont 9 en France.

L’expérimentation, ou comment jouer avec les codes

La démarche de ce cinéma, si on tente de la définir, est de représenter le réel sous une forme différente, sous une deuxième réalité. Il s’adresse aux sensations pour nous perturber, c’est donc plutôt le côté visuel qui est mis à l’épreuve. Et puisqu’il n’y a pas de règles, cela permet de questionner les règles du cinéma traditionnel, de les apprécier ou de les rejeter, mais aussi d’inviter les spectateurs à repenser leurs différentes perceptions. L’expérimental ne répond à aucune attente, il n’y a aucune barrière et donc le processus créatif est un champ infini de possibilité, ce qui rend ces films très originaux.

Les cinéastes prennent de grandes libertés sur les choix de réalisations, à commencer par la vitesse, les répétitions et la durée. Le temps est ce qui nous raccroche à la réalité et ce qui rend un film réaliste, en jouant sur les ralentis et les accélérés, cela bouleverse notre perception du réel. Il en est de même pour la durée du film, qui peut se compter en plusieurs heures, comme le film de 25h Four Stars D’Andy Warhol, ou encore en secondes comme Le film le plus court du monde d’Erwin Hupper, qui dure 1/24 de seconde.

Ce court métrage expérimental de Lucien Bull joue par exemple sur les ralentis pour nous permettre d’observer à chaque milliseconde l’éclatement de la bulle ou le vol de la libellule.

Les artistes peuvent également jouer sur différents leviers au niveau du tournage et du montage, qui vont avoir pour but de perturber nos sens et de nous perdre. L’utilisation de flou, de gros plans ou autres cadrages atypiques nous empêche de distinguer pleinement la scène.

Ce film expérimental de Louise Bourgue utilise surtout beaucoup de gros plans, ce qui pique notre curiosité et c’est en continuant le visionnage que nous reconstituons l’objet en entier. Ces gros plans permettent également de distinguer des détails importants que le cinéaste a voulu nous montrer.

Également, il est courant de retrouver lors du montage des films expérimentaux la pratique du found footage c’est-à-dire l’utilisation d’images tournées par d’autres cinéastes pour en détourner leurs finalités premières, mais aussi le collage et la succession d’images. Ce genre de film confronte les images entre elles selon la proposition d’un cinéaste, qui s’autorise des rapprochements, des regroupements, des coupes, des ellipses. Ce nouveau montage entraîne une lecture différente, qui invente des liens inédits entre les images, créant ainsi une toute nouvelle histoire.

Ce court-métrage expérimental intitulé War s’amuse justement à jouer avec les images, nous proposant des images amusantes comme des dessins animés, des publicités puis tout à coups des images très brutales de combat, ou nous entendons des discours de guerre et des sons de coups de feu. Nous passons rapidement d’une émotion à l’autre avec ces images.

Il y a aussi, lors du tournage, l’utilisation de couleurs mal accordées qui dénotent, des gestes maladroits des acteurs, des accidents comme des objets qui cassent, des sons désagréables ou tout autres plan qui pourraient être considérés comme ‘’inesthétiques’’ dans le cinéma narratif. En effet, notre œil, peu habitué à voir ce genre de plan, va être attiré et notre attention va être retenue. C’est aussi une remise en question de l’esthétique en affichant ce qui ne l’est pas pour pousser aux questionnements.

Ce film de James Whitney, Yantra utilise notamment des sons désagréables et des couleurs vives se succèdent.

Pour approfondir, sur les codes et les liens dans le cinéma expérimental, le livre « Fabriques du cinéma expérimental » aborde à travers des entretiens avec neufs cinéastes d’horizons différents, leurs outils, leurs rapports à la création, leurs manières de penser, de fabriquer, les modes de financements ou encore les mutations que connait aujourd’hui le cinéma expérimental.

Les réalisateurs de films expérimentaux

Il est très difficile d’estimer le nombre de réalisateurs dans le cinéma expérimental, mais Lightcone, qui est le plus gros distributeur de cinéma expérimental en France, a un catalogue de plusieurs milliers de films. On peut sans doute parler de quelques milliers de réalisateurs à travers le monde. Il est possible de trouver des films expérimentaux surtout au sein des festivals (un article sur les festivals de films expérimentaux sera prochainement publié) : beaucoup disposent maintenant d’une section spéciale. Désormais, il existe aussi des structures, organisations ou coopératives de films et courts-métrages expérimentaux. Internet joue également un rôle important dans la distribution et il est facile de trouver ces films en ligne.

Au cours des décennies, quelques grands réalisateurs se sont démarqués par leur génie.  Luis Buñuel est un des pionniers du mouvement d’avant-garde, il appartient en genre du surréalisme. Réalisateur de quelques classiques comme notamment Un chien Andaloux, qui a fait scandale, ou encore L’âge d’Or, ses œuvres réfractaires dénoncent la bourgeoisie figée et hypocrite. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des réalisateurs les plus importants de l’histoire du cinéma. Kenett Anger est aussi un acteur, auteur et réalisateur de films expérimentaux renommés. Il a notamment réalisé Fireworks et Scorpio Rising. Mêlant érotisme, documentaire, psychodrame et spectacle, il est considéré dorénavant comme un des réalisateurs les plus influents du cinéma.

Pour conclure

Les films expérimentaux sont un genre bien particulier mais très intéressant à découvrir. Vous avez maintenant les clés pour les comprendre !

Vous produisez des films expérimentaux ? N’hésitez pas à aller inscrire votre film au festival Paris Film Art Festival !

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Julie Le Bayon

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